Contribution barbare

Lorsqu’on essaie de lire la réalité qui nous entoure, on se rend compte qu’on est en train d’assister au développement de transformations profondes du côté de la gestion du pouvoir politique et économique. De tels changements se répercutent également au niveau social. Il est donc nécessaire de se confronter aux transformations en cours, et d’en tenir compte dans nos analyses et nos perspectives d’attaque.

Le capital n’est pas en crise, mais, plus « simplement », les choix financiers des Etats ont créé des difficultés dans la gestion traditionnelle du marché, et ont produit, en général, une aggravation des conditions de vie des consommateurs-citoyens. Les contradictions développées par le capital ont contribué à déterminer des occasions d’affrontement dans certaines zones, plus ou moins sanglantes et à long terme, entre d’un côté les gardiens du pouvoir et ses structures, et de l’autre ces franges de la population lassées d’être exclues du confort promis par le faux bien-être de la société de consommation.

Face à cela, il est naturel de se demander quoi faire. Etre présents « ici et maintenant » est en effet à la base de notre désir de rupture violente avec tout système de valeurs, avec le capital et ses différentes facettes. Dans le cadre de ces réflexions et dans la définition de perspectives qui puissent nous orienter sur les chemins incertains et inexplorés de la révolte, nous pensons qu’il faut éviter de se confronter à la réalité avec des yeux remplis d’enthousiasmes faciles qui risquent de nous faire voir des insurrections à tous les coins de rue, des complices dans chaque indigné, des sujets révolutionnaires dans chaque exploité. En même temps, nous pensons qu’il est tout aussi dangereux de rester ancrés dans une sorte de réalisme pessimiste qui risque de nous immobiliser par les temps qui courent, de nous transformer en attentistes emprisonnés dans une logique de type déterministe.

Ce qui nous semble fondamental, c’est de se placer dans une optique d’observation lucide qui peut nous permettre de saisir les transformations en cours, d’identifier les aspects vulnérables de l’ennemi, afin d’évaluer au mieux quoi et comment attaquer. Continuer la lecture de « Contribution barbare »

Marseille : Présentation de la Foire du Livre Anarchiste

Samedi 31 août, 17h, à l’imprimerie L’impatience, présentation de la foire  du livre anarchiste de Marseille.

La foire du livre anarchiste qui se tiendra à Marseille les prochains 21 et 22 septembre se rapproche.

C’est pour cela que nous vous invitons à se retrouver pour vous présenter la foire et pour voir si il’y en a d’entre vous qui souhaitent nous filer un coup de main en ce qui est de l’organisation de ces deux journées.

Ça se passera le samedi 31 août dans l’imprimerie « L’Impatience » (au 45 du Boulevard Pardigon), à partir de 17 heures. Il y aura ensuite de quoi manger et boire. Continuer la lecture de « Marseille : Présentation de la Foire du Livre Anarchiste »

« Comment puis-je être sexiste ? Je suis anarchiste! »

Résultat de recherche d'images pour "clown qui pleure"« Comment ça, je suis sexiste? » J’étais scandalisé, je n’étais pas un dragueur, je ne haïssais pas les femmes, je n’étais pas pas mal intentionné. « Mais comment puis-je être sexiste, je suis anarchiste? » J’étais inquiet, nerveux, et toutes défenses. Je croyais en la libération, en luttant contre le capitalisme et l’état. Il y avait ceux qui défendaient les injustices et en profitaient et nous, non ? J’avais 19 ans et on était en 1993, quatre ans après être entré en « militantisme ».

Nilou, en me tenant la main m’a expliqué patiemment, « Je ne dis pas que tu es mal intentionné. Je dis que tu es sexiste, et le sexisme existe de beaucoup de manière subtiles ou flagrantes. Tu me coupes la parole lorsque je parle. Tu prêtes plus d’attention à ce que les hommes disent. L’autre jour, lorsque nous étions assis dans le coffee shop avec Mike, on aurait dit que vous aviez une conversation tous les deux et que j’étais là juste pour regarder. J’ai essayé d’y participer et de dire quelque chose, mais vous m’avez juste regardé avant que de la reprendre. Les hommes du groupe créent un contact visuel entre eux et agissent comme si les femmes n’étaient pas là. Le groupe d’étude est devenu un forum pour les hommes pour parler sans arrêt de tel livre et tel autre, comme si ils savaient tout et devaient seulement l’enseigner au reste du groupe. Pendant longtemps, j’ai pensé que çà venait de moi, que ce que j’avais à dire n’était pas très utile ni intéressant. Peut-être devais-je changer mon approche, ou que je dramatisais, peut-être que c’était juste une idée et que je devais m’en débarrasser. Mais alors, je me suis aperçue qu’il arrivait sans arrêt la même chose à d’autres femmes du groupe. Je ne t’accuse pas de tout çà, mais tu es quelqu’un d’important dans le groupe et tu participes à cette dynamique. » Cette conversation a changé ma vie et c’est une remise en cause que je continue avec cet essai. Continuer la lecture de « « Comment puis-je être sexiste ? Je suis anarchiste! » »

[Camping&Paillettes] Derrière leurs murs

Lettre d‘un-e des trois inculpé-e incarceré-e en région parisienne suite à un contrôle de police la nuit du 1er mai. Pour lui écrire : campingetpaillettes[a]riseup.net

Img_20190808_145631700-mediumDerrière leurs murs, 6 août 2019.

Ce qui leur fait peur, ça n’a jamais été les marteaux dans le coffre de la voiture mais bien un nouveau monde dans le coeur, c’est pour cela que j’écris aujourd’hui depuis une cellule de prison.
J’ai été controlé-e à Paris le 1er mai et placé-e depuis plus de 3 mois en détention, le tout orchestré par les flics qui chassent, le procureur qui accuse, le juge qui questionne et la presse qui condamne. Et voilà que la possibilité de remise en liberté vient de m’être refusée par le proc, qui estime qu’il y a risque de réitération. Et à cause de mon obstination à ne rien lâcher.
Ils attendent de moi que je dise que la violence leur appartient, que sous la pression je condamne les actions de compagnon-nes, les émeutes, les révoltes.
Ils me demandent ce que j’ai dans la tête, et si je refuse de répondre, c’est à cause de ce que je porte dans mon coeur.

Le proc explique que les garanties présentées pour me remettre en « liberté » sous contrôle judiciaire, n’assurent pas un environnement qui pourrait me « déradicaliser ». Et pour cela je dois rester en prison.
Je me demande comment -en étant dans un lieu où se manifestent si clairement les massacres de l’état et de ses larbins, du capitalisme et de ses ravages- comment, une des faces les plus visibles de leur violence pourrait me faire arrêter de rêver à sa totale destruction.
Ils nous veulent apeuré-es, et c’est pourquoi je suis toujours ici. Continuer la lecture de « [Camping&Paillettes] Derrière leurs murs »

Dérailler

[deraje] v.I. -1. Sortir des rails. 2- Familier : fonctionner mal ; se dérégler. 3. S’écarter du bon sens, (synonyme : déraisonner, divaguer)

weiis-fillejetseauEmbouteillage géant, échappatoire zéro. Je crève d’envie de mordre le volant, jeter la tête en arrière, hurler, courir…Défoulement éphémère_ô combien jouissif_de cette frustration sauvage, contenue. À chaque fois le cri monte de mes tripes, étreint ma cage thoracique et reste bloqué derrière mes lèvres… et je mesure la profondeur du dressage, tout ce qu’il a fallu araser, canaliser chez chacune des milliers de personnes prises dans ce flux pour en faire ces dociles automates fonçant à toute allure dans la même direction ou capables d’encaisser cette situation anxiogène sans péter une durite, partir à pied, se défouler sur le premier radar ou uniforme venu. Route des vacances, route du turbin, même combat.

Jour après jour, l’économie nous vole notre temps, la marchandise et ses « loisirs de masse» tend à nous déposséder de nos désirs et de nos rêves, les prothèses technologiques envahissent et n’en finissent plus d’appauvrir les relations… Jour après jour l’alcool, les drogues, calmants, servent d’étouffoir à la rage et à la frustration, amputent et bousillent les trop vivant-es, brouillon-es, sensibles pour mieux garder intacte cette société mortifère. Jour après jour les sangsues religieuses tentent d’incruster leurs préceptes autoritaires, homophobes, patriarcaux et sexistes jusqu’au fond de nos cerveaux. Les paradis qu’ils nous promettent ont tous le sale goût du mensonge et de la résignation. Continuer la lecture de « Dérailler »

Comment en sortir ?

Depuis le premier jour où ils se rassemblèrent en tribus jusqu’à nos jours, qu’ils s’unissent ou divisent en nations, les individus ont enduré et supporté toutes les formes d’oppression, ils se sont soumis à tous les systèmes d’esclavage, ont subi tous les tyrans, ils ont courbé l’échine sous le joug de toutes les lois. Quand une tyrannie était trop lourde, ils l’ont remplacée – c’est vrai – par une autre ; mais même quand ils ont juré de se battre et de mourir pour la liberté, tout leur souffle en vérité a été consumé pour changer de dominants.

Qu’ont-ils obtenu ? La perpétuation de la souffrance, de la misère, de tout tourment, de toute angoisse.

Passant d’un maître à l’autre, d’un système d’exploitation à un autre, les individus sont toujours restés les pauvres qui vendent leurs propres efforts à une entreprise, à une société, ou bien à l’État, recevant pour compensation le strict minimum nécessaire, forcés de mourir de faim en produisant à nouveau, pour ceux qui spéculent sur leur travail, ce qui se traduit par la dépréciation des biens produits. Les citoyens, confiant à un patriarche, à un chef, à un conseil, à des délégués, à un dictateur, la faculté de réglementer la vie dite civile dans son ensemble, sont toujours restés les sujets dont les mouvements et les pensées sont contrôlés et auxquels tout les traitements peuvent être imposées, y compris celui du sang. Continuer la lecture de « Comment en sortir ? »

FOIRE DU LIVRE ANARCHISTE – Marseille, 21-22 septembre 2019

Toujours là

Toujours là. À se lancer dans l’aventure sans brides de la pratique anarchiste, dans ce cyclone d’idées libres qui tend vers la tempête de l’action déréglée, du jeu sans prix à gagner, de la vie sans médiations. Toujours là. À l’écart et contre les idéologies promouvant des sujets politiques, contre les lunettes embuées du citoyennisme, contre l’imposition de la vie sécuritaire transformée en habitude et obéissance. Toujours là. Malgré les tentatives de récupération et d’anéantissement de l’idée de liberté. Malgré les réalismes, les moralismes et l’intégration de la logique du pouvoir par ses faux critiques, qui visent la réforme de la domination plutôt que sa destruction. Toujours là. À persister dans la recherche de sentiers pour tisser des complicités pour combattre l’offensive technologique en train de renouveler et d’approfondir la domination, pour s’atteler passionnément à la destruction de l’oppression et de l’exploitation, pour regarder au-delà des horizons de ce présent insipide. Toujours là. Même si les dépendances des prothèses technologiques cherchent à nous détourner de l’annihilation en cours de notre sensibilité et de notre imagination. Même si les rapports virtuels cherchent à nous dépouiller de la complicité et de l’humanité. Toujours là. À revendiquer avec amour et fierté les idées anarchistes, dans une époque où intégration et répression vont main dans la main, obscurcissant toujours plus les horizons de révolte. Deux jours pour se retrouver autour de l’anarchisme et de ses propositions, pour les discuter et les approfondir; autour des livres et de notre presse, témoins de notre patrimoine révolutionnaire, et autour des nouvelles étincelles de papier, prêtes à incendier ce présent tiraillé entre la résignation profonde et la rage occasionnelle. Deux jours et une foire du livre anarchiste, libre de compromis commerciaux et institutionnels. Deux jours trempés d’idées en liberté, loin des anciens et des nouveaux bergers des masses, loin des anciens et des nouveaux suiveurs de troupeaux. Car tout est toujours possible pour celui qui, entre la tension individuelle et la transformation sociale, se sent un individu en lutte réussissant à fusionner les idées et la pratique.

Programme :

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Un autre concept de force

Jeudi 20 juin – 19h30 – Discussion

Avec des milliers de personnes qui prennent à nouveau les rues de manière régulière pour exprimer un « non » hétérogène, ressurgit également – si elle avait jamais disparue – une idée quantitative de la lutte, c’est-à-dire l’idée d’appeler les exploités à se rassembler pour un affrontement frontal avec le pouvoir. Alors que dans un premier temps la grogne des gilets jaunes prenait aussi la forme d’une multiplication de blocages et d’attaques diffuses, on constate que la décentralisation s’efface petit à petit derrière le mot d’ordre écrasant des samedis émeutiers, dans une course éperdue à la croissance et au spectaculaire. L’imaginaire que beaucoup peuvent avoir de la révolution consiste précisément à « faire le nombre », un nombre contre un autre en quelque sorte, autrement dit à constituer une puissance égale et opposée à celle du pouvoir, en mesure de faire basculer le rapport de force.
Et si le pouvoir n’est pas un ennemi qui nous fait face ? Ni un quelconque Palais d’Hiver qu’il faudrait conquérir ? Et si, par contre, le pouvoir est un ensemble d’idées, de structures et d’individus, logiquement disséminés sur le territoire, qui entretiennent les rapports sociaux d’oppression et d’exploitation, est-ce que l’attaque frontale peut être une base pour la destruction de l’autorité ? Ou devons-nous commencer sur des bases différentes ?
Se ranger dans une perspective quantitative de la lutte révèle par avance quelle est la société pour laquelle on se bat. C’est pousser par la force des choses vers un mouvement qui se focalise plus qu’il ne s’étend, vers une position d’attente de moments de référence au lieu d’encourager l’initiative individuelle, vers le nivellement des différences dans une fausse unité plutôt que la participation sur ses propres bases, etc. Soi dit en passant, le vieux frontisme, ou la nouvelle convergence, poursuivent l’un comme l’autre la même illusion quantitative. À l’inverse, la diffusion des hostilités, l’action en petits groupes entre proches, la multiplicité et la variété des initiatives, sont des moyens différents de concevoir les rapports, qui préfigurent déjà un monde débarrassé de tout pouvoir. Cela n’est pas seulement un avantage du point de vue tactique, en n’offrant pas à l’ennemi de point unique contre lequel frapper, mais c’est décidément aussi plus cohérent avec les idées anarchistes.
Si l’on refuse d’enterrer le mouvement social dans un affrontement symétrique, impossible à tenir, avec l’État et ses flics, plutôt que de chercher à engranger la force numérique « indispensable », mieux vaut alors envisager quelles sont nos possibilités. Partons à la recherche d’un autre concept de force.

acratabxl.wordpress.com


Bibliothèque Anarchiste Acrata – 32 Rue de la Grande Île – 1000 Bruxelles

Centralisme et anarchisme  – Renato Souvarine

I

Un dieu au « centre » de l’Univers, avec toutes les hiérarchies, pour régir l’harmonie de la création… ; un « centre » ordonnateur sur terre – avec tous les… partis providentiels – qui voit, organise, discipline et commande pour « créer » l’ordre entre les hommes incapables – par malédiction divine – de s’occuper de leurs affaires eux-mêmes, voilà l’idée théologique, matrice de toutes les autorités terrestres. C’est le centralisme.

L’« ordre (social) naturel » issu spontanément comme manifestation anarchiste de toutes les forces vives, opposées entre elles, laissées en pleine liberté, s’équilibrant par elles-mêmes, par vertu immanente et particulière, c’est-à-dire par les actions et les réactions de la loi universelle de l’attraction et de la répulsion, qui régit et règle tous les mondes : l’Univers ou l’universelle vie physique, végétale, animale et sociale, sans aucun « centre » providentiel, tuteur, ni externe ni interne, mais uniquement par les lois naturelles d’affinité et de cohésion, voilà l’idée naturaliste, anarchiste. C’est l’anarchisme.

L’ascension humaine, pénible mais inexorable, progresse du centralisme vers l’anarchisme. L’Humanité maîtresse de son destin, qui se guide d’elle-même, en toute liberté, voilà la destination humaine.

Dans les termes de Pisacane, c’est le chaos qui, laissé libre, une fois brisées les hiérarchies, les constructions politiques artificielles, l’ordre et les ordonnateurs autoritaires, s’« ordonne » de lui-même, naturellement. C’est l’Humanité qui s’auto-gouverne dans chaque individu parvenu à la liberté, à l’Anarchie ; à la pleine et consciente disposition de sa souveraineté.

C’est l’homme fait adulte, qui redresse son dos, qui se relève, lève le front et affronte les rayons du soleil, qui regarde les dieux – qui s’en vont – droit dans les yeux, de pair à pair ; et les semi-dieux de l’Olympe délabrant des Gouvernements et des Organisations ; qui revendique, et convoque, avec les droits naturels, la capacité morale et intellectuelle, politique et économique de régler ses affaires par lui-même, en dehors de tout « centre » politique tuteur, qui s’effondre avec l’affirmation des droits naturels de la conscience humaine adulte.

La Centrale qui veut tout diriger et régir, tout ordonner et commander d’en haut, c’est le retour de l’idée autoritaire primordiale : la subordination de l’individu qui abdique face à la communauté centralisée. Voilà l’âme et la substance des Partis politiques Autoritaires, qui sont les « embryons » des Gouvernements de demain. La « Centrale » pyramidale, avec ses fonctionnaires et sa bureaucratie qui prendra le Pouvoir : les suiveurs sont la matière brute pour faire levier et abattre le vieux pouvoir, pour faire de la place aux « bons pasteurs », aux « tyrans éclairés » aux « meilleurs gouvernants » qui les rendront libres et heureux… Continuer la lecture de « Centralisme et anarchisme  – Renato Souvarine »

Italie : Mises à jour sur la grève de la faim des prisonniers anarchistes pour la fermeture de la section AS2 de l’Aquila

Lightning_storm_over_Boston_-_NOAALa grève de la faim se poursuit pour la fermeture de la section AS2 de la prison de L’Aquila.

Les prisonniers anarchistes Salvatore Vespertino, Giovanni Ghezzi, Alfredo Cospito, Marco Bisesti, Luca Dolce se sont également joints à la grève.

Dans notre proximité, nous ne publierons ni ne donnerons la moindre place à la collecte de signatures [pétitions], de télégrammes, fax, de bombardements de mails ou autres moyens de pression civiques pour souligner la situation répressive en cours, nous considérons ces moyens non seulement inutiles mais nuisibles, contre-productifs et objectivement ennemis des idées et actions anti-autoritaires qui se développent dans un autre horizon bien lointain.

Depuis Croce Nera Anarchica www.autistici.org/cna

Des piqûres par milliers

Sur l’incendie d’une antenne de télécommunication à Zurich et l’action individuelle.

« Le monde tel qu’il est aujourd’hui est bien évidemment merdique mais que puis-je faire en tant qu’individu pour lutter contre lui ? » dit un dicton populaire, surtout de la part des gens qui par la suite s’affalent dans leur canapé ou retournent se commander une énième bière au bar en s’allumant une cigarette.

Cet argument repose sur le fait qu’il faudrait d’innombrables personnes pour changer quelque chose, que nous (peu importe qui c’est) devrions être la majorité pour être en capacité de faire quelque chose. C’est l’illusion de la politique, c’est le prétexte qu’utilisent beaucoup de gens pour justifier leur inaction. Il s’agit de reconnaître le fait que tout ce qui est en notre pouvoir réside dans nos actes individuels. Nous pouvons influencer le cours des choses uniquement sur ce que nous faisons nous-mêmes. Ce que le reste fait, ce que la masse fait n’est pas notre affaire. Ce qu’une personne parvient à faire peut vous sembler comme très peu efficace mais en même temps c’est tout ce que nous avons et le plus grand potentiel possible de notre existence réside en nous. Chacune de nos actions a une répercussion sur notre environnement social (le non-agir est également une action et favorise le non-agir des autres). L’action individuelle, ce sur quoi je vais parler, peut sonner comme quelque chose d’évident mais il ne s’agit pas de dire que quelques actions sont plus importantes que d’autres, uniquement parce qu’elles causeraient davantage de dégâts. Bien évidemment, il y a des différences, certaines actions impactent des milliers de personnes, d’autres peut-être juste quelques-unes, mais ça ne rend pas l’une meilleure qu’une autre, ce sont simplement des actions différentes aux retombées diverses, chacune pouvant être la décision tout à fait juste selon le contexte, à savoir qu’il est toujours préférable d’agir plutôt que de ne pas agir. Continuer la lecture de « Des piqûres par milliers »

Madrid, Espagne : Nouvelle opération antiterroriste contre les anarchistes

Dans la matinée du 13 mai, une nouvelle opération antiterroriste a frappé l’anarchisme à Tetuán (Madrid).

L’Espace Anarchiste ‘La Emboscada’ et une autre maison squattée ont été perquisitionnés par des agents de la ‘brigada de información’ et des flics anti-émeute. L’opération s’est soldée par l’arrestation de deux personnes.

Nous avons en tête les opérations Pandora, Piñata, Ice et celle qui maintient toujours Lisa derrière les barreaux. Et plus récemment, les opérations de police coordonnées à l’échelle européenne en réponse à la révolte à Hambourg contre le G20, les arrestations du 29 octobre dernier à Madrid…

En bref : les coups de l’État contre la lutte. Face à cela, l’affection, la solidarité, les réseaux d’affinité et le désir de ne jamais abandonner sont des armes contre la peur et la répression.

Restez attentifs et attentives pour plus d’informations.

Ni innocent.e.s ni coupables !

Depuis sansattendredemain.noblogs.org


Depuis contramadriz.espivblogs.net

Opération Renata (Italie) : Une lettre de Stecco depuis la prison de Tolmezzo

Chers compagnons et compagnonnes,

Est venu le moment de dire quelque chose sur ce qui s’est passé en février.

Un peu plus de deux mois se sont écoulés depuis notre arrestation dans le cadre de l’opération Renata, et je peux dire que je suis serein et fort, sûr comme jamais que la lutte continue malgré les coups portés par l’État.

Mon arrestation à Turin, près de Corso Giulio, s’est déroulée dans le calme vers 17 heures. Alors que je quittais le compagnon avec qui je me trouvais, j’ai remarqué le typique policier en civil devant moi à l’arrêt de tram, quelques secondes plus tard je me suis retrouvé encerclé. Je peux dire que tout s’est déroulé avec beaucoup de tranquillité, et je dois dire avec une « gentillesse » ennuyeuse, par opposition à la façon dont mes compagnons et compagnonnes ont été traités dans le Trentin. Continuer la lecture de « Opération Renata (Italie) : Une lettre de Stecco depuis la prison de Tolmezzo »

TEMPS D’ENCRE – Rencontres autour de publications anarchistes

Pour que l’idée ne flétrisse pas, il faut l’action pour la revigorer. Pour que l’action ne tourne pas en rond, il faut l’idée pour l’enchanter. C’est peut-être là que se tisse le véritable fil noir de l’histoire tumultueuse de l’anarchisme, qui est en même temps sa proposition de lutte : auto-organisation, action directe, conflictualité permanente avec l’autorité sous toutes ses formes.

Ces Rencontres autour de publications anarchistes sont une occasion sous forme d’invitation pour celles et ceux qui sont à la recherche d’idées critiques, qui cherchent à agir, qui se révoltent contre ce monde mortifère d’oppression, d’exploitation et d’autorité. Une occasion, et un défi en même temps, pour mettre en relief ce foisonnement anarchiste qui se diffuse au travers de publications, d’agitation, de locaux, d’interventions, d’actions et de luttes – et qui exprime, en proposant la destruction du pouvoir plutôt que son aménagement, le bouleversement total plutôt que la réforme, la concordance entre moyens et fins plutôt que la stratégie politique, l’éthique plutôt que le calcul, une perspective révolutionnaire à approfondir et à défendre.

Du vendredi 28 au dimanche 30 juin 2019.

La Pétroleuse
163 Cours Caffarelli
Caen (Normandie)

Programme au format PDF / Affiche au format PDF

Plus d’infos ou pour ramener ta distro sur tempsdencre2019.noblogs.org et/ou en écrivant à tempsdencre2019[a]riseup.net.

Depuis bxl.indymedia.org

Quelques réflexions suite au procès contre des anarchistes en Belgique

« Avec quelques autres anarchistes, j’étais appelé à comparaître devant un tribunal de l’État belge, accusé principalement de faire partie ce qui était, au début de la longue enquête, qualifié d’« organisation terroriste », mais a finalement été requalifié en « association de malfaiteurs ». Je n’écris pas ces lignes pour entamer un quelconque dialogue indirecte avec les institutions de l’État, ni pour raconter ma vie, mais tout simplement pour déchirer le voile de silence que l´État pourrait vouloir jeter sur d’éventuelles condamnations. »

Lire la suite ici :

Pièces jointes

Report quelques reflexions

Depuis nantes.indymedia.org

Un métier comme un autre

Le juge. Aucune autre figure ne représente l’emblème de la démocratie, de la justice et du courage comme lui à l’heure actuelle. Mais comment un serviteur tranquille et sédentaire de l’État peut-il soudain porter les vêtements du vengeur des opprimés, du punisseur des puissants ? Les professeurs de droit nous ont toujours expliqué qu’un juge n’est rien de plus qu’un exécuteur, un applicateur impartial de peines, aussi semblable que possible à une machine qui a la tâche ardue d’interpréter le mot écrit froid pour le retranscrire et l’appliquer à l’expression multiforme et imprévisible de la vie qui se manifeste. Il met très peu de sa personne. Qui rédige les lois et pourquoi, ce n’est pas son affaire, qui sont les victimes et coupables est encore moins important pour son travail de technicien, de comptable de la prison. Le juge au fond n’est qu’un homme comme tous les autres, son travail comme un autre, fait de mille tâches, d’une lourde bureaucratie et, surtout, d’une ennuyeuse routine. Chaque jour, la même rengaine, tant d’histoires, tant de vies à inclure dans les articles d’un code et une demi-heure plus tard à sortir sous la forme d’un numéro. Et puis un autre, encore le même scénario, et ainsi de suite, juste le temps d’un cappuccino et d’une brioche et on repars à zéro. De temps en temps, c’est vrai, quelqu’un fait carrière, peut-être même devient ministre, mais la majorité restent d’obscurs fonctionnaires provinciaux, cloués à leur fauteuil sans gloire ; les plus malchanceux et les plus incompétents se retrouvent, au seuil de la retraite, même à être de modestes substituts du procureur. Bref, une vie navrante, toujours dans l’air malsain des tribunaux, toujours en contact avec les visages peu recommandable des avocats, des témoins, des repentis, des laquais, des petites et grandes balances, des policiers et des carabiniers. Comment leur jeter la faute si de temps en temps quelqu’un se fait prendre à la gorge, par la tentation de braquer le projecteur de la célébrité sur son visage, pour finalement devenir quelqu’un ? A vrai dire, c’est aujourd’hui une grande course, personne ne veut rester en arrière, personne ne semble vouloir se limiter à faire son travail de geôlier de la société en paix, sans que son nom apparaisse sur un bout de papier. C’est alors que, si le Parquet de Milan enquête l’homme politique en déclin, le Parquet de La Spezia réagit en remettant en cause le dernier grand manager qui, après tout, ne faisait que son travail comme d’habitude et derrière, faisant écho, un procureur moins important fait arrêter un bouffon du roi. On ne comprend plus rien, tous contre tous, même les juges contre les juges et la moitié de l’Italie est en prison.

Et Rome et Florence ? Auraient-ils pu rester sur la touche ? Alors que faire, compte tenu du fait que les tueurs en série sont rares et que les Brigades rouges on en voit pas même l’ombre ? Il y a encore des anarchistes, Vigna* a dû penser, ceux-là sont bons pour toutes les saisons, ils sont une proie facile, ils n’ont jamais caché leur volonté de détruire l’état avec toutes les relations d’oppression et de domination qu’il suppose. L’effort est minime, s’est-il dit, pour enfermer les ennemis jurés de la démocratie il n’a même pas eu a avoir recours à ce qui leur a toujours fait défaut : courage, compétence, justesse. Il se croit en sécurité, cet homme de loi, enfermé dans une forteresse ou dans son véhicule blindé, il ne sait peut-être pas qu’avec des hommes sans loi ça se passera pas comme ça [litt. les comptes ne sont jamais réglés].

[Canenero, hebdomadaire anarchiste – 11 octobre 1996 – n°34]

* Vigna : le procureur à l’époque

Que veulent les anarchistes ?

Prison de Zurich,
8 février 2019
Chers compagnons,
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A l’occasion de la discussion autour de la question Que veulent les anarchistes ?*, j’ai aussi envie de m’asseoir et de coucher sur le papier quelques réflexions qui vous parviendront certainement avec un peu de retard, puisqu’ici tout doit passer par la censure.
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Que veulent les anarchistes ? Ne pas être en prison. C’est en quelque sorte la première chose qui me vient à l’esprit. Mais cela montre aussi clairement, tout comme les portes blindées devant moi, qu’il ne suffit pas de vouloir quelque chose. Sans les conditions qui permettent de saisir l’objet de la volonté dans la réalité et de le dépasser par l’action, cela reste la simple expression d’un désir, semblable à celui de ceux qui croient encore au père Noël ou qui, ayant pris de l’âge, croient en une force objective influençant le monde et censée nous libérer un jour. Qu’on l’appelle Dieu, Raison, Dialectique ou Progrès.
Rien de tel.
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Pour les anarchistes, tous ces principes abstraits représentent la même tromperie. Et peut-être avons-nous trop peu réfléchi au fait que chez les Grecs anciens, avant de devenir le synonyme de domination, archê désignait le principe premier, à la base de tout. C’est à partir de cet élément religieux originel que s’est développée la justification de l’autorité et finalement du monstre de l’État.
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Ainsi, à défaut de Weltgeist [esprit du monde], comme l’appelait Hegel, ou de matérialisme dialectique dans la variante directe de Marx, il nous faut nous libérer nous-mêmes. Et pour cela, il faut manifestement le vouloir. Mais la volonté peut aussi être une prison pour nous. Par exemple, à certains moments dehors, les ignominies qui nous entourent m’ont fait me sentir plus prisonnier qu’ici, dedans. Ici, la volonté se voit nécessairement amenée à réduire son périmètre. Mais dehors, elle se heurte aussi à des murs, moins clairs et pour cette raison même plus perfides. Ce sont ces derniers que nous devons d’abord identifier et démolir pierre par pierre, pour que les murs concrets des prisons puissent tomber un jour.
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C’est pourquoi je ne souhaite pas parler ici de la beauté de l’anarchie, de la pureté des principes anarchistes. Ce sont de nobles choses, à propos desquelles nous pouvons renvoyer à un siècle entier de propagande anarchiste. Je veux diriger mon attention moins sur le problème du « Quoi ? » que sur celui du « Vouloir ».

***

Nous ne pouvons vouloir que ce que d’une manière ou d’une autre nous comprenons et que nous pouvons donc nous représenter, même s’il s’agit de la plus étrange de toutes les utopies. Cela signifie que notre vouloir n’est absolument pas aussi libre que ce sur quoi s’est longtemps fondée la tradition volontariste de beaucoup d’anarchistes. Il dépend de notre imaginaire, de notre culture dans le sens large du terme. Ces derniers n’incluent pas seulement la tradition littéraire et la culture générale, mais aussi ce que nous mangeons et comment, la manière dont nous nous habillons, dont nous nous rapportons, dont nous communiquons, dont nous chérissons, bref, tous les aspects de la vie quotidienne. Dans une société qui est sur le point de faire rentrer tous ces aspects dans un cercle fermé, administré par la technologie, le pouvoir se donne la possibilité de séparer toujours plus la culture de la réalité. Cela ne concerne pas seulement la masse majoritaire des exclus, administrés de manière passive, mais y compris ceux-là mêmes qui sont aux postes d’administration. Dans ce sens, on peut dire que la technologie annexe progressivement l’État, les anciennes structures de domination politiques et économiques. Continuer la lecture de « Que veulent les anarchistes ? »

Contre les alliances, contre la centralité

Ces périodes de troubles mettent en évidence que nous sommes seul.es, et que cela est nécessaire que l’on se casse la tête pour réussir à mettre en pratique tout ce que nous pouvons faire contre ce qui tente de nous dé- vorer, nous éradiquer, nous assimiler.

Ils/Elles ne sont pas rares celles/ceux qui proposent le chemin de l’ambiguisme politique, du camouflage temporaire – ou moins temporaire – pour croître numériquement et de cette manière se renforcer. Mais nous ne sommes pas si sur.es que la force soit une question purement numérique.

De tous côtés on entend « il faut sortir de sa tanière ». Mais pour quoi ? Pour nous fourrer dans une autre, plus grande, bien que plus ambiguë, et en fin de compte, dans un autre trou du terrain ?

« Il faut faire des alliances ». Les anarchistes doivent faire des alliances, bon, pourquoi pas dire ça. Mais avec qui ?

On dit que contre la fascisme il faut oublier les petites différences au détriment de ce mal commun, pour créer un anti qui nous englobe tous.tes, d’égal.e à égal.e. Egaux  ? Il nous vient à l’esprit la question de si nous avons déjà appris que ces alliances terminent toujours par nous exploser à la figure. Et une réponse se fait encore plus nécessaire dans la péninsule ibé- rique, où cela devrait être clair que la révolution des années 30 a merdé pour avoir eu confiance dans le fait que les alliances avec les politiques et la participation des anarchistes dans la gestion de la misère (c’est à dire, au Gouvernement), fruit du désespoir ou de la bonne foi, a accéléré le processus de décomposition et l’avancée du fascisme. Nous ne sommes pas contre le fascisme parce que ce serait le pire de tous les maux. Nous sommes contre le fascisme de la même manière que nous sommes contre le parlementarisme, contre la démocratie, contre l’autorité. Donc, en tant qu’anarchistes, et anti-autoritaires, nous joindre à des groupuscules gauchistes (nous sommes quasi tombés dans l’erreur d’écrire «  groupuscules et individus  » mais se sont toujours des groupuscules) qui sont en faveur de la politique institutionnelle, qui renforcent et soutiennent le système représentatif et qui fonctionnent de manière hiérarchique, avec leurs portes paroles, délé- gué.es, chef.es, c’est nous mener au désastre. Contre ce « fléau » que semble être le fascisme nous voyons en toute alliance anti non seulement une erreur tactique, mais également un terrible facteur amnésique. Continuer la lecture de « Contre les alliances, contre la centralité »

L’Utopie

Cela fait un bon moment que je pense à écrire sur certains sujets, et des quelques textes que j’ai lus, il m’a semblé comprendre que ce sur quoi je souhaite écrire est un sentiment présent chez d’autres compagnons.

Il s’agit d’une exigence que je ressens depuis toujours, et qui non seulement ne s’est jamais apaisée, mais au contraire a occupé ces derniers temps toujours plus d’espace dans mes réflexions : je parle de l’Utopie. Son idée me poursuit avec une insistance nouvelle et plus forte, et c’est peut-être dû au fait que sa quête soit devenue lentement mais inexorablement moins obsédante au sein de ce qu’on peut génériquement définir comme le mouvement anarchiste. C’est en tout cas mon impression.

Peut-être est-ce suite aux désillusions des années passées qui n’ont produit que ce qui a été perçu comme des défaites, suite à la fatigue des coups retentissants (plus moraux que physiques) qu’il est toujours possible d’encaisser lorsqu’on lutte, sans compter la perspective de ne jamais voir se réaliser ses propres rêves les plus fous, mais il me semble qu’il y a dans l’air une certaine tendance à se contenter de peu : mieux vaut gagner une petite lutte qui donne le moral plutôt que d’encaisser une autre défaite en tentant une victoire définitive. Mieux vaut réussir à ajuster un peu les choses de cet existant misérable plutôt que risquer de ne jamais l’améliorer en tentant de le bouleverser définitivement. La recherche permanente d’adaptation aux situations qu’offre notre époque est en train de supplanter la tension qui empêchait de s’adapter ; la frénésie de faire quelque chose à tout prix pour se sentir vivant et actif risque de se substituer à la capacité d’analyse et de critique nécessaires pour développer sa propre projectualité. On en arrive même à faire ce que tout le monde fait et à parler comme tout le monde parle, parce qu’utiliser un langage différent nous rendrait incompréhensibles et qu’on risquerait de demeurer isolés. On participe tous aux mêmes luttes mais, comme si ça ne suffisait pas, on le fait tous de la même manière, utilisant les mêmes moyens qui à long terme mènent à la stérilité, à moins de découvrir qu’à force de parcourir ce que le mouvement anarchiste faisait avant, nous ayons avorté notre capacité imaginative, atrophiant l’imagination utile pour continuer les luttes qui nous avions entreprises…

Et ces luttes mêmes ? De moyen vers quelque chose de plus vaste et plus grandiose, elles risquent de se transformer en fin en soi, et c’est là qu’on perd de vue l’Utopie. Il m’arrive toujours moins souvent de parler avec des compagnons des rêves plus grands, non pas entendus comme des rêves éveillés à mettre de côté une fois qu’on a fini de rêver, mais comme une sublime aspiration vers laquelle tendre, comme quelque chose à poursuivre pour tenter de les réaliser. L’Utopie ne représente pas pour moi une île qui n’existe pas dans ce monde, mais quelque chose qui envoie le sang au coeur et au cerveau, une idée qui n’offre pas de trêve ; c’est la tension qui me pousse à agir et la conscience qui permet de dépasser la peur. L’Utopie est une des raisons pour lesquelles je suis anarchiste, parce que elle seule m’offre la possibilité de lutter non pas uniquement pour un monde nouveau, mais pour quelque chose qui n’a jamais été réalisé. Voilà mon Utopie : la tentative de concrétiser ce quelque chose jamais accompli, l’aspiration à vivre dans un monde qui ne soit pas celui d’aujourd’hui et pas non plus celui d’il y a quelques milliers d’années. Quelque chose qu’il n’est possible de tenter qu’à travers un moment de rupture insurrectionnelle, un moment qui signifierait uniquement l’ouverture d’une possibilité, qui puisse me faire approcher d’un gouffre profond et d’éprouver le vertige, laissant ouverte la possibilité qu’au fond il y ait quelque chose de terriblement fascinant ou d’absolument terrible. Un saut dans l’inconnu, en somme, sans savoir par avance comment devra être la société que je désire, mais en partant de tout ce que je ne désire pas. Penser l’impensable, donc, comme condition préliminaire pour tenter l’impossible.

« Celui qui contemple la fin dès le début, celui qui a besoin de la certitude de l’atteindre avant de commencer, n’y arrivera jamais »

A. Libertad

[L’utopia – Tairsia, foglio aperiodico di critica sociale, nr. 1 – octobre 2011, en français ici https://salto.noblogs.org]

E. Armand – Se sentir vivre

J’écris ces lignes en pleine période électorale. Les murs sont barbouillés d’affiches de toutes les couleurs ou on s’en dit de toutes les couleurs, sans jeu de mots. Qui n’a pas son parti – son programme – sa profession de foi ? Qui n’est pas socialiste ou radical ou progressiste ou libéral ou « proportionnaliste » – le dernier cri du jour ? C’est la grande maladie du siècle, cette abnégation du moi. On est d’une association, d’un syndicat, d’un parti ; on partage l’opinion, les convictions, la règle de conduite d’autrui. On est le mené, le suiveur, le disciple, l’esclave, jamais soi-même.

Il en coûte moins, c’est vrai. Appartenir à un parti, adopter le programme d’un autre, se régler sur une ligne de conduite collective, cela évite de penser, de réfléchir, de se créer des idées à soi. Cela dispense de réagir par soi-même. C’est le triomphe de la fameuse théorie du « moindre effort », pour l’amour de laquelle on a dit et fait tant de bêtises.

Certains appellent cela vivre. C’est vrai, le mollusque vit, l’invertébré vit ; le plagiaire, le copiste, le radoteur vivent ; le mouton de Panurge, le faux frère, le médisant, et le cancanier vivent. Laissons-les et songeons, nous, non seulement à vivre, mais encore à nous « sentir vivre ».

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Portrait de la femme invisible devant son miroir

Enfant, Je rêvais d’être la femme invisible. Je me disais que l’invisibilité serait le seul souhait que je formulerais si un jour je croisais le génie de la lampe. Pas besoin de m’habiller le matin pour aller à l’école – pas besoin même d’aller à l’école ! – pas besoin d’être bien coiffée, d’être propre et jolie, de plaire et d’être polie… Assise en classe à mon pupitre, je me disais qu’en tant que femme invisible, je profiterais au maximum de mon don pour satisfaire tous mes désirs. Je fantasmais donc de se servir impunément dans le rayon des bonbons du dépanneur, d’aller voir tous les films à l’affiche au cinéma et de visiter tous les endroits mystérieux interdits aux fillettes, comme la chambre de ma mère ou le vestiaire des garçons.

En vieillissant, j’ai appris à la dure que non seulement l’invisibilité n’existe pas, mais qu’être visible est une malédiction. Être vue, être nommée, c’est se faire voler sa vie.

D’abord, on m’a contrainte à être une « fille », cet être inférieur et faible qui n’a le droit d’exister qu’en fonction des autres, qui doit séduire à tout prix et prendre soin de tout le monde en souriant sans discontinuer, qui doit être sage, ne pas dire de gros mots, ne pas tacher sa foutue robe, être parfaite en tous points tout en n’étant surtout pas trop intelligente, parce que personne n’aime une fille trop maline.

Ensuite, j’appris avec stupeur que j’étais une « Chinouèse », un objet de curiosité, d’exotisme ou de méfiance qui se fait demander continuellement (en mauvais anglais, allez savoir pourquoi) d’où elle vient, si elle aime manger du chat, si elle a une mauvaise vue à cause de ses drôles de yeux bridés, si elle sait dire des gros mots en « chinouès », quand on ne lui tire pas ses cheveux en crin de cheval ou qu’on ne s’approche pas d’elle pour la renifler et ainsi détecter un éventuel fumet de crasse ou de chow mein – voire qu’on considère, carrément, comme une incarnation du péril jaune qui menace la survie de la nation blanche et chrétienne.

Plus tard, je suis devenue à mon grand désespoir une « lesbi », une « brouteuse de touffe », un objet de fantasme dans la mesure où cette condition sert à exciter le porteur du phallus (car toute lesbienne ne l’est que parce qu’elle est mal baisée et ne souhaite secrètement que de connaître la véritable extase – celle que seule une bite peut procurer), quand ce n’est pas un être pervers menaçant par son vice les fondements mêmes de la famille et de la civilisation. Quand plus tard on m’a vue dans les bras d’un homme, j’ai immédiatement basculé dans un autre camp, celui des « bi » indécises, volages, briseuses de couples, propagatrices du VIH, incapables de reconnaître leur homosexualité et strictement indignes de confiance.

Tout ceci n’était qu’un avant-goût de ce qui attendait lorsque fut le temps d’assurer moi-même ma survie. Je suis d’abord devenue une « ressource humaine », un être méprisable, par définition improductif et ingrat parce qu’il exige de se faire payer suffisamment pour pouvoir survivre, un être continuellement soupçonné d’être voleuse, fraudeuse, qu’on peut reléguer au rang de sous-humain en dictant son emploi du temps, en choisissant qui elle aura le droit de fréquenter et en exigeant obéissance et marques de servilité envers les supérieurs et les clients.

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Les bandits rouges (G. Gavilli et E. Malatesta)

Du 14 décembre 1911 (vol de la voiture utilisée la semaine suivante pour leur braquage) au 15 mai 1912 (mort d’Octave Garnier et de René Valet dans l’assaut de la police à leur abri)… L’aventure d’une poignée d’anarchistes illégalistes français n’aura duré que cinq mois, jalonnée de braquages, de fusillades, de meurtres, de fuites et d’arrestations. Cinq mois, c’est tout. Mais cela a suffi pour qu’ils entrent dans l’histoire, grâce à l’appellation que leur a donnée un journaliste : « la Bande à Bonnot ».

À l’époque, le parti de l’ordre est bouleversé par les premiers braqueurs utilisant une voiture pour accomplir leurs coups, et les considère tout de suite comme des criminels féroces qu’il faut exterminer. Rien de moins. Et les amoureux du désordre ? Les anarchistes… Qu’ont-ils dit sur ces compagnons sauvages ? Inutile de cacher que la majorité d’entre eux est restée ahurie, et les considéra comme des provocateurs à blâmer. Rien de moins.

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Vézac, France : Des flammes au domicile de la députée LREM [+ Quelques notes sur l’attaque et les émeutes ritualisées du samedi après-midi]

Aux alentours de 23 heures à Vézac (Dordogne) samedi 10 décembre, après une journée d’émeutes générale aux quatre coins du pays (Marseille, Paris, Toulouse, Bordeaux, Dijon, pour ne citer qu’elles), les flammes sont venues lécher le domicile de Jacqueline Dubois, députée LREM de Dordogne. Sa voiture personnelle, ainsi que celle de son mari, sont partis en fumée. « Je m’en suis rendue compte en éteignant la lumière me couchant. J’ai vu une lueur à l’extérieur, et en ouvrant mes volets, j’ai découvert l’incendie », raconte la députée, qui a eu peur que les flammes atteignent la maison.

Nous trouvons intéressant de relayer les attaques incendiaires en dehors des émeutes du samedi après-midi, qui commencent à se ritualiser depuis trois semaines. L’attaque individuelle ou en petits groupes, dans une période de désordre généralisé, ouvre des possiblités immenses dans la conflictualité actuelle avec ce monde. En tant qu’anarchistes, lier nos idées à l’agir fait partie de nos bases, c’est indéniable. Nous cherchons à les diffuser et à les pratiquer peu importe le moment, en période de pacification comme en des temps de désordre et de chaos comme aujourd’hui (bien que les raisons qui y poussent ne soient pas les nôtres. Lire une critique anarchiste de ce mouvement ici). Nous ne ferons pas ici la liste des attaques et des dégâts de ce samedi 10 décembre, car elle serait trop longue et ce n’est pas le sujet. Ce que l’on peut dire, c’est que le gigantesque dispositif policier déployé à Paris (mais aussi ailleurs, comme à Toulouse, Marseille, Bordeaux ou Dijon) n’a pas empêché la propagation du chaos à d’autres secteurs de la ville (jusqu’à la place de la République) que les Champs-Elysées, déjà dévastés avec rage et joie le week-end précédent. La mairie de Paris a d’ores et déjà confirmé que les émeutes de ce samedi 10 décembre ont fait davantage de dégâts matériels que celle du 1er décembre. Et on s’en réjouit, bien évidemment.

En plus de frapper le domicile d’une responsable du désastre, cet incendie permet également d’élargir le désordre loin des photographes amateurs (émeutiers ou non) qui, il est clair, participent à la répression qui ne fait que commencer. C’est un fait assez hallucinant de voir des barricadiers se mettre à faire des selfies au milieu des affrontements, mettant en danger d’autres révoltés qui ont autre chose à foutre dans ces moments-là que de sortir leur portable, comme par exemple protéger leur intégrité physique, faire attention aux mouchards et autres charges de bacqueux ou à la présence deflics en civil, etc… (relire ce texte sur les émeutes du G20 à Hambourg: « Sur les vacances à Hambourg » : selfies, désordre et tyrannie de l’image).

Certains individus choisissent leur propre temporalité, loin de la logique mouvementiste  actuelle chez de nombreux révolutionnaires, anarchistes ou non, qui consiste à être là où ça se passe. Appuyons cette révolte, en étendant les actes d’hostilité du centre à la périphérie, partout et à tout moment !

sansattendre.noblogs.org

Le grand défi

Rien ne semble échapper à la reproduction sociale, rien ne semble être en mesure de s’opposer à l’éternel retour de la plus mortelle des habitudes : le pouvoir. Des grèves sauvages qui s’arrêtent après la concession de quelques miettes, des protestations populaires auxquelles manque seulement la satisfaction de leur revendication sereine pour devenir des consensus de masse, l’abstention politique qui se précipite dans les urnes à l’appel de nouveaux politiciens, des révolutions sociales triomphantes lorsqu’elles obtiennent un changement de la garde… « Fallait-il que la routine eût de longues dents pour que nous en soyons là aujourd’hui ! » disait un vieux surréaliste.

C’est comme si toute révolte contre l’insupportable condition humaine était déchiquetée par les longues dents du vieux monde, comme si toute sa rage et son énergie étaient happées dans l’orbite institutionnelle. Cela confirmerait presque les tristes observations d’un célèbre anthropologue libertaire français, selon lequel au cours de l’histoire le passage de la liberté à l’autorité s’est toujours effectué à sens unique, sans exception. Il n’y a pas d’alternances possibles ni de retours en arrière. Une fois établi, l’État est destiné à durer pour l’éternité. Ainsi, la seule tâche de la révolte serait de stimuler le réformisme, ouvrant la voie au gouvernement du moindre mal.

Il va de soi que ceux qui ne sont pas disposés à accepter cette résignation érudite ne peuvent que s’interroger sur la manière de briser ce cercle vicieux, sur comment interrompre cette malencontre dont parlait l’anthropologue. Une question énorme, peut-être insoluble, composée d’innombrables facettes. A notre avis, un des éléments à prendre en compte est l’absence de… de notre… franchement, nous ne savons pas quelle est la meilleure définition. Quelqu’un pourrait peut-être le définir comme l’esprit du temps, entendu comme une tendance culturelle répandue à une époque donnée. Quelqu’un d’autre appellerait probablement cela un imaginaire collectif, ensemble de symboles, d’images et d’idées qui forment le substrat de la vie mentale. Mais nous, qui n’apprécions pas du tout la foi implicite dans ces deux définitions, préférons grandement soutenir la nécessité d’un monde qui nous soit propre, dans le sens d’un univers mental autonome. Nous sommes persuadés que les moments de rupture avec l’ordre dominant ne réussissent pas à durer, non seulement à cause de toutes les difficultés opérationnelles qui surgissent dans de telles circonstances, mais aussi parce que –dans la tête, dans la bouche, dans le cœur et dans les tripes des insurgés– n’existe que le monde de l’État, le seul dont tous aient eu une expérience directe, concrète, quotidienne. Un monde qui, excepté pendant la brève période d’impétuosité de la révolte, revient tôt ou tard.

L’autorité et l’obéissance ont évidemment modelé l’esprit du temps et colonisé l’imaginaire collectif. Ils représentent les pôles magnétiques de ce qu’on appelle généralement la culture, réussissant à bannir tout doute sur le fait que ce monde –c’est-à-dire celui où nous vivons, celui où nous sommes contraints de vivre– est le seul possible. Nous devons y croire, point final. Ce résultat n’a rien de naturel, il n’a été obtenu que récemment au terme d’un long processus de domestication sociale. A la différence d’un passé troublé par des hérésies, des utopies et des classes dangereuses, aujourd’hui aucune jungle luxuriante en marge de l’ordre civil ne le menace. A la limite, il reste un désert. Comme si en dehors de l’État et de sa vie au garde-à-vous ne pouvait pas exister tout autre chose, mais seulement rien d’autre. Le rien le plus désolant. Et comme personne n’aime vivre dans le désert, excepté peut-être quelque ermite plus ou moins digne ou plus ou moins rancunier, il va de soi que ce monde de parlements et de banques, d’usines et de bureaux, de tribunaux et de prisons, de supermarchés et d’autoroutes… a fini par devenir le seul monde et l’unique modèle à disposition de l’être humain. Tant matériellement qu’idéalement, il est perçu comme un point de référence impératif et totalisant, susceptible au mieux d’une configuration différente de ses éléments déjà présents. Si les barricades cessent de servir d’exutoire pour se transformer en tremplin vers un siège électoral, si les insurgés se retrouvent à réclamer des marchandises sans logo, de grands travaux utiles à la collectivité, le respect des droits et ainsi de suite, nous pensons que cela est en grande partie lié à un manque d’imagination.

Évidemment, ce n’est pas du tout un problème pour ceux qui pensent que l’autorité est en mesure d’accorder et de garantir la liberté (oh, trois fois rien, cela ne concerne que la quasi-totalité de l’espèce humaine). Pour ceux-là, –au-delà du fait qu’ils donnent ou suivent des ordres–, le vrai problème est de trouver la configuration appropriée. Non, ce problème ne peut être ressenti et soulevé, discuté et affronté, que par ceux qui pensent que tout État, tout gouvernement, toute autorité sont mortels pour la liberté humaine. En d’autres termes, il n’y a que les anarchistes, avec ou sans étiquette AOP, qui peuvent et doivent s’en (pré)occuper. Mais cela n’intéresse pas beaucoup d’entre eux. Ils considèrent que c’est un faux problème, une perte de temps. Inutile de tourmenter les jours déjà peu enthousiasmants que nous devons passer sur cette terre en se posant des casse-tête insolubles, surtout quand on peut s’en remettre à la commodité du déterminisme ou à l’auto-suffisance du nihilisme.

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Au-delà de la loi

A dire vrai, je ne comprends pas bien ce que l’on veux dire aujourd’hui lorsque l’on parle d’ « illégalisme ». Je pensais qu’il s’agissait d’un mot désormais désuet, qui ne figurerait plus que dans les livres d’histoire du mouvement anarchiste, enfermé à jamais à côté de la toute aussi ancienne « propagande par le fait ». Lorsque, récemment, j’en ai réentendu parler, sur un ton aussi critique qu’ instrumental, je n’ai pas pu retenir un mouvement d’étonnement. Je commence à ne plus supporter cette manie de dépoussiérer les vieilles polémiques mais sans faire face à de nouvelles discussions, mais qu’importe.

Il me semble avoir compris quelque chose en tous cas. L’illégalisme dont on (re)parle aujourd’hui n’est pas ce concept qui a été vivement débattu au sein du mouvement anarchiste au début du siècle. À l’époque, cette définition désignait principalement toutes les pratiques interdites par la loi utiles pour résoudre les problèmes économiques des camarades : braquages, vols, contrebande, contrefaçon d’argent, etc. Il me semble qu’aujourd’hui, certains anarchistes qui manquent d’argumentation essaient trop facilement d’attribuer au terme d’illégalisme le sens d’une fin sublime en soi de tout comportement interdit par la loi, et pas seulement de celui dicté par des besoins de survie. En bref, l’illégalisme deviendrait une sorte de théorisation de l’illégalité érigée en système, avec une valeur universelle.

Quelqu’un a même été plus loin, jusqu’à blâmer durement un « illégalisme à tout prix », fustigeant parmi des camarades qui enfreignent la loi même quand ils pourraient faire autrement : comme ça, pour savourer le frisson de l’interdit ou pour satisfaire un dogme idéologique. Je me demande comment à fait ce quelqu’un pour tombé dans cet illégalisme à tout prix, où j’en ai entendu parler. Qui pourrait être tenté de contester les rigueurs de la loi quand elle pourrait s’en passer ? Personne, évidement.

Mais probablement le point sur lequel nous devrions réfléchir est un ailleurs. Un anarchiste peut-il faire sans contester la loi ? Bien sûr, dans de nombreux cas c’est possible. Par exemple, au moment où j’écris dans un journal dans le cadre de la loi : suis-je un anarchiste légaliste ? Et si au lieu de cela, ce soir, je postais des affiches clandestines, deviendrais-je un anarchiste illégalliste ? Mais alors, qu’est-ce qui distinguera ces deux catégories d’anarchistes ?

La question de la relation entre un anarchiste et le droit ne peut être écartée de manière aussi expéditive et trompeuse. À mon avis, l’action d’un anarchiste ne peut être conditionnée par le droit, ni positivement ni négativement. Je veux dire que ce qui le pousse ne peut pas être le respect révérencieux de la législation en vigueur, sans parler du goût de la transgression comme une fin en soi, mais ses idées et de rêves, ainsi que de ses attitudes individuelles. En d’autres termes, un anarchiste ne peut être qu’un alegal, un individu qui se propose de faire ce qu’il veut au-delà de la loi, sans se fier à ce qui est permis ou interdit par le code pénal.

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L’action individuelle dans la lutte sociale

L’espèce humaine a toujours eu dans son évolution des forces négatives en opposition aux forces actives. À savoir, des minorités rebelles à toutes les forces constituées en majorité pour faire respecter leur programme soit par la force de la violence, soit par des lois de soumission habituelles, appelées règles morales.

Mais nous pouvons revenir bien plus en arrière, dans l’histoire, dans la lutte des minorités contre les majorités. Et selon les théories darwiniennes, nous pouvons remonter aux origines de la manifestation de la vie et, suivant sa transformation, nous constatons que: chaque nouvelle génération plus adaptée à la vie et sa transformation contraignent la vieille génération à s’atrophier et même à disparaître. Ainsi, progressivement, de transformation en transformation, nous en arrivons au point où nous ne connaissons plus nos ancêtres. Et en fait, l’homme d’aujourd’hui se demande encore: si vraiment nous venons du singe, selon la science, ou s’il s’agit d’une création surnaturelle, selon les religions.

Beaucoup parmi les hommes, et certains parmi les anarchistes, croient en l’évolution de l’espèce, parce que c’est de la science; mais la conviction vraie et pure reste dans leur cerveau en doute, et même parfois un mystère. Ainsi, beaucoup se disent aujourd’hui anarchistes individualistes, car cette appellation signifie la plus grande conception philosophique de l’individu, et ils semblent être tellement plus beaux, plus esthétiques, plus grands et plus intelligents que les autres; mais la vraie conception individuelle, la vie de l’individu sur la planète où il vit, ses relations avec la nature et avec tout ce qui peut lui donner l’immense plaisir, la satisfaction sensible de la jouissance physique et psychologique; hélas! même cette conception reste le plus souvent une conception banale, quand ce n’est pas une énigme incompréhensible.

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La tension anarchiste

L’anarchisme n’est donc pas un concept qui se scelle avec un mot comme une pierre tombale. Ce n’est pas une théorie politique. C’est une manière de concevoir la vie, et la vie, que nous soyons jeunes ou âgés, n’est pas quelque chose de définitif : c’est un pari que nous devons jouer jour après jour.

Donc, quand ces messieurs nous disent  : «  Vous êtes des utopistes, vous les anarchistes vous êtes naïfs, votre utopie ne peut pas se réaliser », nous devons dire : « Oui, c’est vrai, l’anarchisme est une tension, ce n’est pas une réalisation, ce n’est pas une tentative concrète de réaliser l’anarchie demain matin ». 

La liberté est un concept non seulement difficile et inconnu, mais c’est un concept douloureux, et à l’inverse il nous est vendu comme un concept magnifique, doux, reposant, comme un rêve qui est tellement éloigné qu’il nous fait nous sentir bien, à l’instar de toutes ces choses qui – puisqu’elles sont lointaines – constituent une espérance, une foi, une croyance. […] Pour nous rendre compte des concepts de ce type, pour nous rendre compte des risques en maniant des concepts dangereux de ce type, nous devons être en mesure de construire des idées en nous, d’avoir des idées. 

https://anarchroniqueeditions.noblogs.org/files/2016/10/La-tension-anarchiste.pdf

Sur le banc des accusés

La dangerosité sociale

… Mais hasardons-nous maintenant sur le terrain de la répression spécifique contre des luttes autonomes et des individus qui se battent pour la liberté. Parfois, les arrestations de compagnons, la répression d’une lutte, la diffusion de menaces à peine dissimulées contre ceux qui ne sont pas prêts à enterrer la hache de guerre, amènerait à croire que nous serions dangereux. Dangereux pour l’ordre établi, comme est classé l’anarchisme depuis quelques années en Belgique, considéré comme « la menace la plus importante et la plus diffuse pour la sûreté du pays », sur la bonne voie car objet d’une répression ?
De telles croyances proviennent tout simplement d’un manque de conviction dans ses propres idées, d’une carence de perspectives, car elles s’amusent à reprendre à leur propre compte les paroles de la domination.
A l’inverse, il n’est malheureusement pas rare de constater que, dans le courant subversif même, des bruits courent sur certains lieux, certains compagnons, certains terrains de lutte qui seraient dangereux, qu’il faudrait mieux éviter, parce qu’ils attirent la répression et autres conneries de la sorte. Dans les deux cas, la même « échelle de mesure » est utilisée : celle de la morale dominante et des lois en vigueur. Ou pire encore, une échelle « militaire », qui voit la subversion comme la somme d’attaques attribuables à tel courant ou à telle tendance ; échelle malheureusement trop fréquente, chez les légalistes et réformistes, comme chez les « subversifs » autoritaires.
Que disait déjà cette citation ? : « On voit les lucioles parce qu’elles volent la nuit. Les anarchistes font de la lumière aux yeux de la répression, parce que la société est grise comme la pacification. Le problème, ce n’est pas la luciole, mais bien la nuit. »
Le danger et la dangerosité sont bien ailleurs. C’est la menace souterraine qui traverse les siècles et tous les visages que la domination a pu prendre : la menace d’une explosion sociale, de la subversion de l’existant. Inutile, et aussi pernicieux pour sa propre dignité, de cacher que les activités et les idées des subversifs antiautoritaires ciblent à encourager, faire éclater, défendre, répandre la subversion et donc la nécessaire insurrection, forcément violente et négatrice des lois et des morales. Et l’Etat cherche à réprimer, persécuter, étouffer ce qui le met en danger. La menace n’est donc pas une centaine d’anarchistes, mais la diffusion toujours possible et imprévisible d’idées et de pratiques subversives que nous portons. La menace, la dangerosité,  c’est la contagion qui se met à l’œuvre ou qui, du moins, reste toujours possible. D’où l’évidence que la meilleure solidarité, consiste à continuer à diffuser des idées et des pratiques subversives, au-delà de toute échéance judiciaire ou étatique. Et aussi que la meilleure défense contre la répression n’est pas de constituer une quelconque puissance imaginaire qui y ferait face (dans la logique de l’affrontement symétrique, imprégnée d’une vision militariste et hiérarchique de la subversion), qu’il ne s’agit pas simplement (ou mieux, pas tant) de s’approprier des techniques et des savoir-faire pour la contourner, mais bien de perspectives de lutte, d’idées approfondies, de la recherche sociale de complicité dans le refus et dans l’attaque de ce monde. En fait, on pourrait extrapoler cette question afin de mieux la saisir : une insurrection (dans le sens anarchiste, c’est-à-dire, comme phénomène social) peut-elle être vaincue de manière militaire par les forces répressives ? La « réussite » d’une insurrection dépend-elle du nombre d’armes et de « troupes » à notre disposition ? Ou les raisons des « défaites » des insurrections ne sont-elles pas plutôt à chercher dans le manque de perspectives antiautoritaires, de « fermeté » dans le refus de toute sorte de chef ou encore, dans la peur de l’inconnu de la liberté ? La répression des insurrections, tout comme leur explosion; la répression des insurgés, tout comme la contamination du tissu social par leurs idées et pratiques, n’est jamais qu’un fait militaire, mais avant tout social. Et de nombreuses conséquences découlent d’une vision antiautoritaire de cette question, qui est au fond essentiellement celle de la transformation révolutionnaire de l’existant.

 

Extrait de la revue :  Salto – subversion & anarchie

| L’ennemi de toujours |

Si un jour meurt l’anarchisme, ce sera parce que les anarchistes l’auront eux-mêmes tué. Une affirmation forte, certes, mais quand on y réfléchit un peu plus, pas tant dénuée de signification. Les adversaires de l’anarchie, de l’État aux capitalistes, des prêtres aux autoritaires variés, peuvent la blesser, même grièvement, mais n’ont jamais réussi à l’achever. Peut-être est-ce à cause de l’attirance irrésistible qu’elle exerce sur les âmes rebelles, sur les réfractaires de l’ordre, sur les assoiffés de vengeance et de liberté, peut-être est-ce parce que l’idée qui est au cœur, non, qui est le cœur de l’anarchisme – à savoir que l’autorité est ennemie de la liberté, l’origine de toute souffrance et de toute oppression – ne cesse d’émerger au sein de cette prison infâme qu’est la société humaine moderne. En tout cas, deux siècles de répressions féroces, d’échecs de révolutions et d’insurrections, de trahisons n’ont pas renvoyé l’anarchisme « au musée de l’histoire humaine », comme auraient pu l’espérer ses détracteurs blindés de « réalisme » et de « dialectique historique ». Notre ennemi, le pouvoir sous toutes ses formes, est puissant, peut-être même plus puissant que jamais, mais l’anarchisme ne mourra pas tant qu’il y aura des anarchistes pour l’incarner à travers la lutte, pour le défendre, pour le chérir.

Jusqu’ici, malgré toutes les tempêtes qu’il a traversé et qui ont marqué son histoire au fer de la polémique, mais aussi du mouchardage ou des politicailleries, un sort tel que celui subi par le marxisme (un discrédit historique et général, l’ombre de régimes totalitaires et atroces qui s’en sont revendiqués, les atrocités commises au nom du parti, les pelotons d’exécution qui ont fauché nombre de révolutionnaires,…) a été épargné à l’anarchisme. Aujourd’hui, même les marxistes (bien que leurs prédécesseurs se retourneraient dans leurs tombes) doivent se requalifier de « libertaires » ou d’« anti-autoritaires », sous peine de passer pour d’infréquentables fantômes. L’échec de toute vision autoritaire de la révolution, de la guerre de classe, de la lutte contre l’oppression, est manifeste non seulement au plan théorique, mais aussi au niveau pratique. Cela n’empêche pas de reconnaître qu’il existe des révolutionnaires sincères et qui luttent véritablement, y compris lorsqu’ils sont dopés au matérialisme historique, aux fables des contradictions du capital générant son propre effondrement, à la classe ouvrière chargée d’une mission eschatologique, mais cette reconnaissance n’estompera en aucun cas nos critiques.

Si on remarque aujourd’hui que des visions autoritaires empruntant par la force des choses des apparences « libertaires », s’insinuent jusque dans les discours anarchistes, d’autres regards, d’origine peut-être plus émancipatrice, s’attellent aussi à la tâche de transformer l’idée anarchiste en la vidant de sa substance, si l’on peut dire ainsi. Mais procédons par questions. Par exemple, pourquoi des anarchistes parlent aujourd’hui de dominations, plutôt que de la domination Pourquoi parler de pouvoirs, plutôt que du pouvoir ? Est-ce pour souligner que le pouvoir prend différentes formes dans les rapports sociaux, ou est-ce pour dire qu’en réalité « le pouvoir » n’existe pas, mais qu’il n’y aurait que « des pouvoirs » ? Est-ce pour souligner que le pouvoir prend différentes formes dans les rapports sociaux, ou est-ce pour dire qu’en réalité « le pouvoir » n’existe pas, mais qu’il n’y aurait que « des pouvoirs » ? Nous sommes en désaccord avec cette façon de considérer la libération anarchiste, qui s’affirme toujours plus. Il serait bien sûr stupide de nier que la domination présente différentes facettes, qu’elle emprunte différents visages en fonction des contextes, des périodes historiques ou des rapports sociaux. […]

La suite dans le dernier numéro de la revue

« Avis de tempête » disponible ici : avisdetempetes.noblogs.org

Être ou paraître anarchiste

Giuseppe Ciancabilla

La Question Sociale, Année V, n. 93, 7 janvier 1899

***

Il se passe le contraire de ce qui devrait arriver. Pour la plupart, être anarchiste est un problème de forme ; pour une minorité, pour très peu seulement c’est une question de substance.

La forme, l’apparence : voilà l’éternelle imposture qui nous fait dévier du juste chemin de la vérité et nous traîne, dans une agréable illusion, vers les sentiers faciles des satisfactions momentanées.

La préoccupation de la forme est ce qui retarde le jour de l’avènement de la pensée (anarchiste) [initial. « Idea, » ndt*] ; la tendance à présenter cette pauvre Pensée sous l’aspect flatteur et charmeur d’un beau petit homme paré et bien en place, qui sait complimenter tout le monde, qui ne choque personne, qui veut concilier les esprits les plus contraires, c’est une tendance que j’appellerais de bonnes intentions, mais qui en pratique se trouve nuisible et négative.

Comme en littérature les proxénètes de la forme noient de solides principes dans une mièvre indigeste, comme la plastique, la préoccupation de finir les contours selon la précision symétrique détruit la ligne forte et expressive de l’audacieuse conception artistique, de la même manière que dans le mouvement libertaire, la préoccupation pour la forme et l’apparence détruit la vigueur [initial. « virilità », ndt*] âpre et rude, soit, il me convient d’ouvrir un chemin, vers l’Idéal.

Il y a entre nous un défaut d’esthétisme : celui de vouloir rendre beau à tout prix ce qui aux yeux, voilés par les préjugés des profanes, semble heurter les conceptions conventionnelles de la vie sociale d’aujourd’hui. Et cette manie esthétique nous fait minimiser, rogner, retoucher, réarranger, amincir l’apparence plastique gigantesque de la pensée qui, neuve, vierge, robuste, va de l’avant, en balayant les obstacles sur la route – mais ne souffre pas des minauderies des adorateurs raffinés, qui la voudraient poudrée et embellie, pour le plaisir de tous.

Et ainsi naturellement se pose la question d’être ou de paraître anarchistes. Bien entendu je ne mets pas du tout en discussion la question de la bonne ou mauvaise foi. Je parle au contraire des cas d’ailleurs les plus typiques de (très) bonne foi.

Pour moi la bifurcation des deux tendances se sépare dans ce dilemme : être anarchique pour soi ou l’être pour les autres. Il pourra sembler pour certains que je fasse des paradoxes, que je veuille me perdre dans l’absurde et dans l’étrange par caprice de singularité.

Et pourtant ce dilemme est pour moi si clair, si précis, si distinctement gravé dans ma tête, qu’il me semble qu’il doive être saisis par tous et aisément accepté.

En effet je crois que pour « être” anarchiste, nous devons surtout l’être pour nous-mêmes. Quand chez l’individu s’est développé le besoin de fonctionner physiologiquement et psychologiquement dans un environnement libre, sans contraintes, sans obstacles à toutes ses potentialités propres. Quand dans l’individu le concept de vie libertaire devient si enraciné dans son être jusqu’à le contraindre à se rebeller contre toutes les formes imposées et conventionnelles de la vie sociale et individuelle d’aujourd’hui, il est alors anarchiste pour lui-même, par un besoin puissant de son être, qui se sent étouffer dans le milieu actuel, il cherche à rompre les barrières qui l’empêchent de plonger dans sa nouvelle vie, où il sait trouver de l’air, de la lumière, du soleil, un idéal – le bonheur finalement.

On objectera : mais cet individu agira pour lui-même, et donc de manière inadéquate pour réaliser son but ; il négligera ceux qui peuvent, ou mieux doivent l’aider à vaincre.

Ce n’est pas vrai. Justement parce qu’il veut se battre, l’individu, par un besoin naturel, sera contraint à attirer les autres dans l’orbite de son action et de sa théorie ; il cherchera à les convaincre, à leur donner l’énergie qui abonde dans son être, de les pousser à l’action. Seulement sa propagande, justement parce que subjective, sera naturelle, sincère, elle sera la vraie manifestation de ses conceptions individuelles spontanées, et ne sera façonnée sur aucun schéma imposé et suggéré par quelques personnes influentes. Ce sera finalement le produit logique de ses idées intellectuelles et morales. Ceux qu’un tel individu aura attiré seront des individus, comme lui, qui pourront affirmer avec force le principe spécifique de leur individualité. Ce seront des individus distincts qui lutteront, en se retrouvant spontanément et nécessairement dans la lutte, sans se perdre, par manque d’approche qui leur est propre, dans la masse incolore et sans forme des disciples en manque d’idéal, disciplinés dans les différentes formes d’organisation.

L’individu qui est anarchiste pour lui-même l’est nécessairement pour les autres ; mais il est de manière subjective, dans la mesure où cela lui convient à lui-même. L’individu au contraire qui est anarchiste pour les autres, dans la majeure partie des cas paraît, mais ne l’est pas en substance. Ce dernier est l’individu qui se préoccupe de vendre à un beau public un maximum de ses produits. Sa propagande est somme toute objective, parce qu’il n’a pas besoin de son être, mais c’est la fixation de qui vit pour avoir derrière lui une ribambelle de personnes convaincues par sa Pensée. Pour cela il est contraint de présenter ces idées sous l’aspect le plus séduisant, s’accommodant aux exigences de son public, en diluant ce qu’il peut sembler âpre et difficile à concevoir, en l’adaptant à toutes les exigences curieuses de ceux qui veulent savoir, veulent prévoir, et veulent, avant de démolir, reconstruire idéalement le futur.

La pensée vient ainsi en dehors de cette propagande arrangée à toutes les sauces et à tous les arrangements – parce qu’on doit s’adapter à tous les goûts ; et celui qui fait de la propagande pour être entouré de sympathisants plus ou moins convaincus, sans entendre le besoin d’agir pour soi-même, doit justement s’adapter aux goûts des autres, pourvu qu’il ait la satisfaction de la rendre plaisante et bien admise. Outre la propagande théorique, il y a aussi la propagande sur l’action continue des deux individus. L’anarchiste pour lui-même tentera, s’efforcera de vivre dès à présent de la manière la plus libertaire possible : cet état permanent de rébellion contre tous les obstacles, les présupposés et les conventions de la vie d’aujourd’hui sont pour lui une nécessité, une impulsion naturelle de ses fonctions organiques. L’anarchiste pour les autres ne se préoccupera pas, par contre, de cet exemple vivant de la réalisation pratique de l’idéal, puisque celui-ci n’a pas d’individualité propre, ayant dispersé dans les infinies adaptations de la propagande objective chaque atome de son caractère particulier.

Ce sont ces idées exprimées ici tant bien que mal le fruit de réflexions que je voudrai voir s’élaborer aussi dans l’esprit des compagnons. C’est un problème qui peut sembler Byzantin, qui fera hurler de nombreux suiveurs de la propagande objective et centralisatrice, qui finalement semblera, comme j’ai déjà dit, paradoxale, mais pour moi c’est un problème de vie ou de mort, celui d’être ou de paraître anarchistes.

G. CIANCABILLA – IDEAZIONE – Ed. Gratis

traduction libre

-Les guillemets et les parenthèses sont de la traduction.

*Certains mots ont été remplacée par des synonymes ou termes projetant la même idée afin de traduire le texte de manière plus actuelle ou correcte (tout en cherchant à ne pas s’éloigner sens voulu par l’auteur).

 

| Face à la République |

Quarante ans d’ignominies républicaines ! Mais, pour nous édifier, le pré- sent suffit : le Maroc mis à feu et à sang par le civilisateur Lyautey ; hommes, femmes, enfants égorgés avec d’ingénieux raffinements de cruauté – le feu mis aux récoltes, afin que la famine complète l’œuvre du massacre. A Tunis, les verdicts implacables que l’on sait.

Et sur le sol même de la « plus douce des patries », c’est la dictature cynique des mouchards et des policiers, invités formellement à l’assassinat des suspects. Ce sont de nouveaux millions jetés par centaines à l’immonde militarisme. C’est l’escroquerie des retraites ouvrières qu’on tente de réaliser d’accord avec les tribuns de la Sociale. C’est le martyre de Rousset1 . C’est la loi contre la jeunesse révolutionnaire. C’est la vie chère, les vivres trustés, les loyers augmentés, la plus vaste spéculation sur la misère générale, le pacte de famine moderne auquel, comme de juste, ministres et parlementaires donnent leur signature, concours que les accapareurs auront su apprécier.

Et comme l’abjection est la marque du ré- gime, comme il faut bien que les honnêtes gens se vengent d’avoir eu peur d’une poignée d’ « outlaws », ce sont des hommes que l’on veut jeter aux bagnes pour n’avoir pas trahi, pour n’avoir pas dénoncé des amis ou des inconnus, pour avoir rempli envers les traqués ce devoir d’asile sacré aux sauvages même les plus barbares. Et, avec une logique effroyable, la République livre en même temps à son allié Nicolas le Bourreau ce réfugié russe assez imprudent pour s’être fié à l’hospitalité de la France2 .

Qu’en de telles circonstances, des esprits que nous avions coutume de croire émancipés, aient pour souci les périls que pourrait courir cette délicieuse Marianne, pleurent sur le péril réactionnaire, ou les menaces de dictature, comme si nous n’étions pas déjà en pleine oppression et en pleine dictature, il y aurait de quoi nous stupéfier, si nous oublions combien les superstitions politiques, que gouvernants et ploutocrates ont tant intérêt à cultiver, sont encore enracinées au cerveau de nos contemporains. Mais pour nous, la République ne nous peut inspirer que de la haine, du dégoût et du mépris. […]

Extrait du bulletin anarchiste, Avis de tempête,  la suite est disponible ici :  https://avisdetempetes.noblogs.org/