Comment en sortir ?

Depuis le premier jour où ils se rassemblèrent en tribus jusqu’à nos jours, qu’ils s’unissent ou divisent en nations, les individus ont enduré et supporté toutes les formes d’oppression, ils se sont soumis à tous les systèmes d’esclavage, ont subi tous les tyrans, ils ont courbé l’échine sous le joug de toutes les lois. Quand une tyrannie était trop lourde, ils l’ont remplacée – c’est vrai – par une autre ; mais même quand ils ont juré de se battre et de mourir pour la liberté, tout leur souffle en vérité a été consumé pour changer de dominants.

Qu’ont-ils obtenu ? La perpétuation de la souffrance, de la misère, de tout tourment, de toute angoisse.

Passant d’un maître à l’autre, d’un système d’exploitation à un autre, les individus sont toujours restés les pauvres qui vendent leurs propres efforts à une entreprise, à une société, ou bien à l’État, recevant pour compensation le strict minimum nécessaire, forcés de mourir de faim en produisant à nouveau, pour ceux qui spéculent sur leur travail, ce qui se traduit par la dépréciation des biens produits. Les citoyens, confiant à un patriarche, à un chef, à un conseil, à des délégués, à un dictateur, la faculté de réglementer la vie dite civile dans son ensemble, sont toujours restés les sujets dont les mouvements et les pensées sont contrôlés et auxquels tout les traitements peuvent être imposées, y compris celui du sang.

Et les individus travailleurs et citoyens, après des siècles et des siècles d’expériences douloureuses d’esclavage qui se succèdent, sont toujours au même point, à savoir torturés, toujours par le même besoin de paix, de justice, de liberté. Et parmi ceux qui ne sont pas découragés, qui ne s’abandonnent pas au destin acceptant toujours le fait accompli, la plupart d’entre eux s’essoufflent à passer par des sentiers déjà battus, d’autres sont impatients d’essayer non pas de nouveaux sentiers, mais des constructions qui sont différentes de celles existantes, mais reconstruites avec des matériaux anciens ; plaçant toujours l’axe de la nouvelle construction sur une base d’autorité.

Et de cet éternel et vain effort qui rappelle celui de Sisyphe (1), résulte un état de scepticisme et en même temps de désespoir qui empoisonne les sources de la vie, qui rend l’homme bestial et en fait un serviteur avide ou un dominant impitoyable. Alors que la vieille histoire se répète….

Il y en a aussi beaucoup qui, s’efforçant en vain, cherchent anxieusement à savoir s’il existe réellement une autre voie. C’est vers eux que nous nous tournons. Ceux-ci disent et demandent : comment sortir de cet état des choses qui se renouvelle dans sa substance même lorsqu’il se transforme dans ses aspects ?

Comment ? En donnant un coup de pied dans tout le passé, même s’il se masque de présent et peut-être de futur. Le passé n’est-il pas l’autorité, le privilège, le dogme, la règle fixe, la loi unique, le petit nombre qui commande, le grand nombre qui obéit, l’inégalité établie par Dieu ?
Tout dans le passé et depuis le passé façonne le présent et façonne l’avenir, n’a-t-il pas pesé hier, ne pèse-t-il pas aujourd’hui, ne pèsera-t-il pas demain sur vous ?

Alors, pourquoi insister dans cette course folle, dans un cercle fermé par des barbelés, pour repasser par là où nous sommes déjà passés, pour tomber sous la même croix, non pas trois fois, mais cent, mille fois et sur les mêmes pierres, même si ce ne sont plus les serviteurs de Caïphe ou les légionnaires de Rome à vous fouetter les reins, même si le bourreau est un gendarme républicain qui se gargarise chaque matin avec la liberté, l’égalité et la fraternité ?

Sortons de ce cercle, brisons ce cercle. Dehors…. ailleurs… au-delà…

– Mais ce que vous proposez est un saut dans l’inconnu [lit. dans le noir].

Pourquoi dans le noir ? Êtes-vous peut-être dans la lumière aujourd’hui ?

– Mais qu’allons-nous y trouver ? …

Qu’y trouverez-vous ? Ah ! Bande de lâches (3) dignes de tout esclavage ! Voilà, vous voudriez que nous vous présentions là, au-delà du cercle, un monde déjà fait, une ville nouvelle déjà construite, avec des règles déjà établies et des granges [pour mettre le grain, ndt] déjà remplies ? Eh bien, rien de tout ça. Nous ne vous proposons que, en dehors de ce cercle, la possibilité et la liberté de créer une nouvelle vie, une nouvelle existence, comme vous en rêvez à l’heure du découragement, de la peine, de la souffrance.

Vous ne voulez pas la justice, la paix et la liberté ? Maintenant, personne ne peut vous donner ces choses, vous seul pouvez les avoir. La ville idéale ne peut être construite que par ceux qui voudraient y vivre.

Et si vous nous demandez notre avis, nous vous les donneront volontiers…

Si vous nous demandez en revanche des règles et des programmes, nous vous le refuserons. L’anarchie ouvre la porte à toutes les expériences. Prête à se révolter pour les fermer contre toute nouvelle possibilité de tyrannie.

Extrait de Machete, n. 3, 11/2008

Depuis finimondo.org

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(1) Dans la mythologie grecque, Sisyphe est condamné à pousser une pierre au sommet d’une montagne, d’où elle finit toujours par retomber.

(2) Malchus (serviteur du grand-prêtre Caïphe), faisait partie selon l’Évangile, de ceux qui avaient été envoyés par Caïphe pour arrêter Jésus au Jardin des Oliviers.

(3) Dans le texte original “Infingardi” : ce qui signifie, esclave d’une avilissante inaction, inertie ou passivité coupable ; qui feint l’effort.