Seulement en fin de semaine

« Je ne sais même pas ce que je ferais de mes samedis si il n’y avait plus de mouvement. Qu’est-ce qu’on va foutre si ça s’arrête, y’a pas moyen. »

paru dans lundimatin#189, le 29 avril 2019


A : Alors, avez-vous commencé la guerre civile ?
B : (Effrayé) Guerre civile ?
A : Et quoi d’autre sinon ?
B : Je ne sais vraiment pas. Peut-être que tu veux juste te moquer de moi. Pour cela on n’a du temps que le week-end.
A : Pour quoi faire ?
B : Justement ce que tu appelles la guerre civ…
A : N’avale pas ce mot de travers !
B : En bref, pour Wackersdorf* et le reste. Mais depuis longtemps maintenant nous avons pour cette raison, renoncé à nos saunas du samedi et nos concerts du dimanche. Nous les avons sacrifiés.
A : Félicitation pour le sacrifice. Tu dis seulement samedi et dimanche. Mais tu penses que les femmes sur la Place de la Bastille, il y a 200 ans aient compris ce « seulement » ?
B : Comment ? Mais essayes de te mettre un peu à ma place s’il te plaît.
A : Dans quoi ? En qui ?
B : Dans notre vie à tous. Pendant les jours travaillés, nous n’avons pas de vraiment le temps pour des choses pareilles. (Regarde l’horloge)
A : « Pour des choses pareilles », très bien dit. Tu es pressés ?
B : En fait, oui. (Mais il reste quand même) Ou tu penses que je devrais proposer à Line de tout abandonner ? Littéralement tout ? Son travail ? Et la voiture ? Et moi ? Et les petits ? Et la télé ?
A : Surtout pas la télé.
B : Que veux-tu dire ? D’autant que sans télévision, nous ne saurions pas ce qu’il se passe dans le monde ?
A : Ce qui se passe à Wackersdorf par exemple. En termes simples : pour être informé sur ce qui se passe, même pour se tenir au courant sur vous-mêmes, vous devez vous asseoir à une table devant la télé.
B : Chaque chose en son temps.
A : Que veux-tu dire ? Peut-être crois-tu qu’il y a un temps pour vos représentations et un temps pour la télévision ?
B : (silencieux)
A : Ces paroles du sage Salomon ici n’ont vraiment pas de sens. Il avait devant lui l’éternelle répétition. Nous, au contraire, on parle d’interruption du temps. Grâce à l’utilisation abusive de cette citation tu confirmes définitivement ton manque de sérieux et ta défaite.
B : (silencieux)
A : Donc Newsweek avait vraiment raison.
B : Newsweek ? A propos de quoi ?
A : Je ne trouve pas ce magazine génial, mais il vous a vraiment piqué à vif, quand récemment il s’est moqué de vous avec les « week-end rebels » et comme « leisure-time-revolutionaries », c’est-à-dire comme révolutionnaires du temps libre et en tant que rebelles du week-end. Penses-tu vraiment qu’on pourrait faire des révolutions comme des concerts symphoniques, en l’inscrivant dans l’agenda et en accourant régulièrement certains jours comme des engagements de la semaine en cours ? Et après les avoir insérés entre des rendez-vous, des réunions d’affaires et des vernissages, les accomplir dans l’ordre, toujours avec les mêmes intervalles de temps ? Comme cela se passait avant pour les saunas ? Tous les samedis et dimanches ? Et seulement à ce moment-là ?
B : En bref, tu t’attends à ce que je devienne un révolutionnaire à vie avec toute ma famille ?
A : Non, pas à vie. Étant donné qu’une durée aussi longue équivaudrait à une défaite. Quelque chose comme ça s’est déjà produit auparavant.
B : Quoi ?
A : L’ascension, c’est-à-dire la seconde venue du Christ était attendue depuis trop longtemps. Et cela a conduit à ce qu’en fin de compte, on ne s’y attendait plus vraiment on s’est habitués à sa non-arrivée, et donc son absence s’est même inversée dans une espèce de présence, une espèce d’être-descendant, et précisément dans « l’âme » du croyant.
B : Je ne suis pas théologien et Dieu merci, je ne comprends rien de tout cela.
A : Je ne suis pas théologien non plus. Et c’est précisément pour cette raison que je me sens obligé de comprendre.
B : Ah !
A : Pour faire court : Je crains que si vous continuez a étendre à intervalles réguliers les révolutions du weekend de manière pédante, vous vous en lasserez bientôt, ou bien – et cela correspond à la « fausse ascension » cela peut devenir une habitude bienvenue à laquelle vous revendiquerez le droit. Et que vos enfants appelleront ces journées peu concluantes « les journées de la révolution ». Enfin, vous vous attendez à ce que les gouvernements reconnaissent et approuvent ou même organisent vos journées en tant que jours de fête nationale comme les nazis organisaient le 1er mai. J’entends déjà la voix du ministre Wallmann, son discours retentissant dans lequel il vous confirme qu’en tant que citoyens libres vous avez le droit, au moins une fois par semaine, de jouer à la révolution. Mais si par erreur, un jour, vous y arrivez vraiment avec succès, c’est-à-dire la réalisation de ce que vous exigez depuis si longtemps, alors vous serez saisies par la grande post tristesse, parce qu’à partir de ce moment là vous ne saurez plus comment occuper vos weekends. En fait il n’y a rien qui détruit plus profondément le sens de la vie plus profondément que d’atteindre un but. Alors tout ce qu’il vous restera, c’est retourner au sauna.

Gewalt-ja oder nein. Eine notwendige Diskussion; Knaur Verlag, München 1987

* À Wackersdorf (commune de Bavière en Allemagne), en 1986, lors d’une manifestation contre la construction d’une usine de retraitement de déchets nucléaires, deux opposants furent ont perdu la vie lors des affrontements autour du chantier, l’un à cause d’une crise cardiaque lors d’une arrestation, l’autre suite à une crise d’asthme à cause de l’utilisation du gaz de combat CS, les flics avaient notamment refusé le transport en hélico vers l’hôpital… Par la suite, des flics qui pourchassaient en hélicoptère des manifestants qui se trouvaient sur une voie ferré, pas loin du chantier de Wackersdort, ne remarquèrent pas qu’un train de marchandises se rapprochait, le conducteur jugea préférable de sauter et le train percuta l’hélicoptère dont il ne resta pas grand chose (un flic meurt dans l’accident)… En 1986, 51 attaques incendiaires ont eu lieu contre l’usine et les entreprises qui participaient à sa construction, 16 en 1987. Le projet a finalement été abandonné.