Lorsque je suis arrivée à la Maf de Fleury-Mérogis, la nursery comptait quatorze cellules, dont douze étaient occupées. Nos cellules étaient petites, avec un lit pour la mère et un petit lit en fer, aux barreaux tout rouillés, pour son enfant Les murs de béton étaient nus, maculés. La porte était peinte en noir, tout comme les deux ou trois étagères.
Pour laver nos enfants, nous avions, dans chaque cellule, une baignoire en plastique. La cuvette des toilettes n’avait pas de couvercle et j’ai dû en fabriquer un en carton parce que le bruit de la chasse d’eau réveillait chaque fois mon fils. Il faut un certain temps pour que les enfants s’habituent aux bruits d’une prison. Les surveillantes ouvraient et fermaient bruyamment les verrous, sans se soucier du sommeil des enfants.
Il y avait un coin cuisine, auquel nous n’avions pas accès. Au début, deux mères détenues avaient été désignées pour préparer les repas des enfants. L’administration leur remettait la nourriture pour une semaine et elles devaient se débrouiller. Puis la direction a prétendu qu’elles volaient de la nourriture et elle les a remplacées par une puéricultrice qui était totalement incompétente. Ce fut la catastrophe.
Elle prévoyait de la nourriture pour sept enfants alors qu’il y en avait onze à nourrir, de sorte que, parfois, il ne restait plus rien pour le weekend. Pour ma part, je n’ai pas eu à en souffrir directement car j’allaitais mon enfant, de même qu’une autre femme. En revanche, nous avions toutes deux demandé que l’on augmente un peu nos rations alimentaires durant la période où nous nourrissions nos enfants au sein. L’affaire est allée jusqu’au service médical, qui a prescrit une alimentation améliorée.
Mais nous n’avons jamais rien eu. Ces problèmes de cuisine sont montés jusqu’à la direction et la puéricultrice s’est fait taper sur les doigts. Une nouvelle détenue du quartier principal de la Maf est donc venue se charger de l’alimentation. Elle arrivait dès le matin, à 8 h 30. A midi, elle repartait puis, à 14 heures, elle revenait chez nous et préparait le quatre heures et le repas des enfants.
Les mères ne trouvaient pas très normal que quelqu’un d’autre fasse à manger pour leurs enfants, d’autant plus que cette fille était une balance Elle rapportait à l’administration tout ce que nous faisions ou disions. Nous étions à la fois surveillées par l’Administration pénitentiaire, par la puéricultrice et par cette fille. Une grande tension s’installait.
Il y avait aussi un semblant de salle de jeux pour les enfants, entièrement entourée de vitres. Dans cette salle, on trouvait ça et là, à terre, des matelas recouverts de housses usagées et des jouets plus ou moins cassés. A l’époque, il y avait treize enfants et cette salle était encore trop confinée pour eux. Là aussi, ils étaient enfermés.
Il y avait une réserve de vêtements pour gosses dont on ne voyait jamais la couleur. Un jour, alors que la puéricultrice était en vacances, nous avons pu ouvrir les placards et nous avons été ébahies de voir tant de vêtements empilés alors qu’il y avait des détenues qui n’avaient rien pour leurs enfants, ni chaussons ni petits tricots de corps, etc.
Outre cela, la nursery comptait encore une petite infirmerie, qui était gérée par la puéricultrice et le pédiatre. Ce dernier venait tous les quinze jours pour peser les enfants et voir si l’un d’entre eux était malade. Là, on trouvait un pèse-bébé, une grande table avec un matelas recouvert d’une sorte d’alèse, des thermomètres dans une petite armoire, où l’on stockait également le lait, les couches, le lait de toilette, etc.
Le lait nous était donné au compte-gouttes, moins du tiers de la bouteille à chaque fois. Lorsqu’il n’y en avait plus et que nous en réclamions, nous nous faisions engueuler. On nous rationnait aussi les couches. Il s’agissait de couches de piètre qualité qui se mettaient en boule au bout de cinq minutes. Souvent, la puéricultrice se trompait de taille et nous devions nous débrouiller avec des couches trop petites.
Il y avait aussi une machine à laver, qui était réservée aux· enfants. Nous n’avions pas le droit d’entrer dans la cellule où elle se trouvait. Les mères ont droit à une douche par jour. Certaines filles,préfèrent se laver au lavabo. Lorsqu’on vient d’accoucher et qu’on se sent toute flasque, il arrive que l’on n’ait pas envie de se montrer aux autres. Or la douche est collective, il n’y a pas de cabines individuelles.
Nous étions constamment traitées comme suspectes. Tout était comptabilisé. Si on nous donnait une bouteille d’eau et qu’elle était finie trop vite, on nous disait que nous la buvions au lieu de la donner à nos enfants. On nous suspectait tout le temps.
Le suivi médical laisse vraiment à désirer. Après l’accouchement, on ne voit le médecin qu’une fois. Je n’ai jamais su ce qu’était un retour de couche. Je n’ai vu personne et je n’ai eu aucune information. L’enfant n’est pas nécessairement pesé ni mesuré tous les quinze jours, lorsque vient le pédiatre. C’est totalement aléatoire. Un enfant peut tomber malade dans la semaine où le pédiatre ne vient pas. Dans ce cas, l’administration appelle un médecin extérieur. Lorsque je parle d’un enfant malade, il faut qu’il soit vraiment malade et non pas qu’il ait simplement une petite toux parce que pour l’administration, ce n’est pas être malade. Alors que dehors, si un môme a un rhume et que sa mère a envie d’aller voir un médecin, elle peut le faire. C’est pénible, pour une mère détenue, de devoir dépendre de quelqu’un lorsque son enfant est malade.
Mon fils avait des problèmes avec ses pieds qui rentraient à l’intérieur. Il portait des chaussures spéciales, en cuir dur, qui lui étaient douloureuses. Il fallait donc que je lui talque les pieds. Il a fallu que je m’ accroche sérieusement avec la puéricultrice pour obtenir du talc parce qu’elle estimait que c’était du superflu. Nous étions contraintes de nous justifier pour chaque demande de ce type. Quand c’est tout le temps comme ça, il arrive·un moment où c’est insupportable.
Lorsque les enfants commencent à marcher, lorsqu’ils atteignent six mois, ils bougent beaucoup plus et ça devient plus dur. En grandissant, l’enfant a besoin de plus d’ouverture et tout est fermé. C’est difficile d’être en permanence avec lui parce qu’on veut bien faire mais il n’y a pas le père, avec qui il y a parfois des problèmes, qui est peut-être en prison.
Cet espèce d’enfermement à deux est complètement fou. Il faut prendre sur soi parce qu’on n’est pas toute seule, et les nerfs en prennent un coup. En prison, on est non seulement prisonnière de l’administration mais on l’est aussi de son enfant.
Quand tu es dans la même cellule que ton gosse et que son lit est à côté du tien, qu’il te voit, qu’il se lève, tu essayes de rester dans ton lit sans bouger mais beaucoup de mères détenues prennent leur enfant pour dormir avec elles, ce qui crée encore plus de liens et, au moment de la séparation, c’est encore plus dur. Mais on ne peut pas faire autrement.
A la différence des autres quartiers, la nursery n’est pas entretenue par des auxiliaires désignées par l’administration. Ce sont les mères qui doivent assurer le nettoyage. Nos enfants y vivaient et nous faisions, avec les moyens du bord, en sorte que ce soit propre. Nous devions laver le sol des cellules avec du shampooing.
Donc, lorsque vient ton tour, avec une autre mère, on ouvre la porte de ta cellule à 7 heures du matin. Tant mieux si ton bébé dort encore. S’il est réveillé, il faut le trimbaler avec toi dans le couloir ou le mettre dans la salle de jeux, car on n’a pas le droit de le confier à une autre mère.
C’est ensuite la distribution du petit déjeuner et, à 8 h 30, c’est l’ouverture des portes. On entend les verrous qui claquent, une ribambelle de portes qui s’ouvrent puis les pas des mômes qui marchent, tout contents de sortir enfin. Ceux qui dormaient encore se réveillent et la journée commence.
On nettoie alors sa cellule car, du fait de son exiguïté, elle est toujours sale et on n’a aucun produit d’entretien. Les lavabos sont minuscules. Il n’est vraiment pas pratique de laver le plateau métallique dans lequel sont servis les repas. De plus, c’est extrêmement bruyant et ça réveille le gamin. Alors, ou on lave ce plateau et on réveille son enfant, ou on ne le lave pas.
Après le ménage de la cellule: on va se voir les unes les autres, on discute ensemble. Puis c’est la promenade, de 10 à 11 heures. Nous avons une promenade par jour dans une cour de la détention «ordinaire», lorsque les autres détenues n’y sont plus. Pour porter les enfants en bas âge, il n’y avait qu’un ou deux sacs kangourou, alors que nous étions douze. De même, il n’y avait qu’un ou deux vieux landaus. Toutes sortaient dans cette cour, où nous nous retrouvions entre mères. Ensuite, nous réintégrions nos cellules. A 11 h 30, les enfants mangeaient dans une salle commune. Ils étaient, comme les détenues, soumis au rythme administratif. Après cela, les prisonnières regagnaient leurs cellules et recevaient leur repas vers midi, et elles restaient enfermées jusqu’à 14 heures. Les verrous étaient alors de nouveau ouverts et les mômes qui dormaient encore étaient réveillés. Jusqu’à 18h00, les mères pouvaient vaquer dans le quartier, aller d’une cellule à l’autre, dans la salle de jeux où se trouvait, évidemment, un téléviseur, ou encore dans la courette de la nursery. Cette courette est à l ‘air libre, pas très grande. Il y a là quelques brins d’herbe et un petit tas de sable agrémenté d’une planche de bois, pour les enfants. La cour est entourée de grands murs. Les mômes regardent face à eux et ne voient que ces murs. Le soir, les enfants mangeaient à 17h30, puis il ne se passait plus rien jusqu’au lendemain.
Si un problème se présente la nuit, il n’y a que nous, les mères, et les détenues de l’étage au-dessus, qui puissions faire quelque chose, c’est-à-dire taper dans les portes. Il y a bien un système d’interphone dans les cellules mais on peut sonner durant des heures, le rond-point reste désert, comme partout ailleurs. Ce n’est pas parce que c’est la nursery que la vigilance est plus grande. Il est arrivé qu’une enfant soit très malade. Dans la journée, la mère avait fait remarquer que la petite n’était pas bien. Les surveillantes avaient pris sa température -la petite avait effectivement de la fièvre- et lui avaient administré un peu de Catalgine. Au milieu de la nuit, la môme n’allait pas bien du tout. La mère a commencé à taper à la porte. Nous nous sommes réveillées et, à notre tour, nous avons toutes cogné. Les surveillantes sont venues et ont dit que ce n’était pas urgent puisque la température de la gamine n’atteignait « que » 39°5. Le jour où je suis arrivée, j’ai immédiatement signalé que j’étais épileptique et que c’était dangereux car une crise pouvait arriver à tout moment: imaginons qu’une nuit, je sois seule avec mon fils dans les bras et que je tombe. J’avais donc convenu avec une co-détenue, lorsque j’étais contrariée ou que je n’avais pas le moral, qu’elle devait m’appeler, le soir, à intervalles réguliers. Nous n’avions que ce moyen-là.
Nos parloirs avaient lieu dans les boxes habituels, avec les autres détenues. Comme elles, nous étions fouillées à corps.
Mais nos enfants étaient fouillés à l’aller et au retour. A l’hôpital de Fresnes, les surveillantes allaient même jusqu’à ôter la couche du bébé. A la Maf de Fleury-Mérogis, ces fouilles variaient selon les périodes. Il m’est arrivé d’avoir un accrochage avec une surveillante parce que mon fils donnait au retour du parloir et que j’avais refusé qu’elle le fouille. Elle a carrément enfoncé sa main dans la couche. J’ai vivement ôté cette main et je l’ai traitée de «merdeuse». Le ton a monté.
Un été, en juillet, il faisait très chaud. Dans les cellules, la température atteignait quarante degrés. La plupart des mômes étaient malades. Ils avaient des maux de ventre mais les médecins ne faisaient rien si ce n’est prescrire deux ou trois médicaments. On continuait de nous donner une bouteille d’eau par jour et si une mère stockait deux bouteilles et que l’administration s’en apercevait, on ne lui donnait pas d’eau le troisième jour.
Nous avons toutes écrit à la direction. Nous avions décidé de ne pas rédiger de pétition car elle aurait été rejetée. Mieux valait écrire chacune une lettre individuelle pour demander que les portes des cellules soient ouvertes entre 12 et 14 heures.
Durant ces heures, une surveillante était présente. Il était donc tout à fait possible d’ouvrir les portes sans que cela ne pose un problème particulier. Quelques jours plus tard, le sous-directeur Audouard arrive dans la nursery. Je l’attrape et lui rappelle que nous lui avons adressé des lettres restées sans réponse. Il me répond que celle-ci ne saurait tarder. Elle est effectivement arrivée peu après: notre demande était refusée et rayée d’un grand trait, sans qu’il prenne la peine de nous expliquer pourquoi.
Il faisait vraiment très chaud. Nous en étions à un tel point que nous trempions les couvertures militaires de l’ A.P. dans l’eau jusqu’à ce qu’elles ruissellent et que nous les pendions à la fenêtre pour rafraîchir momentanément l’atmosphère. Il y avait un centimètre d’eau par terre et lorsque mon fils dormait, je mettais au-dessus de son lit un drap humide. Certains enfants ont été malades et nous nous sommes dit qu’il fallait vraiment faire quelque chose. Nous avons décidé de ne pas rentrer de promenade le lendemain midi. Nous devions toutes sortir avec nos enfants, emmener de l’eau, de quoi manger, des couches de rechange et aller dans la petite courette d’où nous pensions qu’on ne pourrait pas nous déloger. C’est pour nos mômes que nous avions décidé de passer à l’action. Malheureusement, la détenue qui collaborait avec l’administration était au courant par une des mères qui avait été trop bavarde.
Le jour dit, à 11 h 50, nous nous trouvons toutes dans la salle où les enfants devaient manger. Nous nous préparons à sortir. Soudain, la surveillante nous ordonne de réintégrer les cellules. Nous commençons par dire que ce n’est pas l’heure. Mais nous voyons la balance et nous comprenons immédiatement. Nous disons que nous ne voulons pas rentrer. La surveillante appelle les gradées et l’une d’elles, Mme Ayache, vient, accompagnée d’une grande blonde que l’on surnomme « Gestapo », Mme Davoine, et de plusieurs surveillantes. Elles nous disent que, maintenant, nous devons rentrer. Personne ne répondît. J’ai commencé à expliquer pourquoi nous ne voulions pas rentrer, j’ai parlé des enfants malades, des deux médecins qui s’étaient déplacés pour une des petites, du fait qu’il faisait toujours trente-neuf degrés parce que nous avions réduit la température d’un degré avec l’eau sur les couvertures. Les surveillantes sont allées chercher le sous-directeur. Il est venu vers moi. J’ai eu cette image: « Je ne sais pas si vous avez un enfant ou si vous avez un chien, mais enfermez-le dans une voiture avec la température qu’il y a dehors en laissant qu’une mince ouverture, et vous verrez». Le sous-directeur n’a rien répondu.
Nous avions tout de même obtenu que l’administration fasse venir des médecins. Ils sont venus avec un appareil de mesure et ont constaté qu’il faisait effectivement très chaud dans nos cellules. Durant deux ou trois jours, nos enfants ont été confiés, aux heures les plus chaudes, à la puéricultrice. Nous n’étions pas d’accord. Enfermées dans nos cellules, nous entendions nos mômes qui chialaient. Chacune reconnaissait la voix de son enfant.
Décembre 1991,
une ancienne prisonnière
Extrait de Rebelles (journal des prisonniers en lutte – 1992)
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