Fascisme, anarchisme, guerre

Le mot « fascisme » est à la mode. On le prononce à toute occasion et sans occasion. Celui qui se fâche avec son voisin le traître de « fasciste », tout en ne comprenant pas toujours ce que ce terme signifie bien exactement.

Voyons un peu, aussi brièvement et explicitement que possible, le sens du mot « fascisme ». C’est l’expression brutale ce violente de l’autorité, imposée sans discussion permise. C’est ainsi qu’il est compris couramment. Mais à mon avis, tous les autoritaires, c’est-à-dire tous les partisans de l’autorité, en en détenant une parcelle, sont des fascistes, plus ou moins déguisés, mais tout aussi dangereux pour la liberté. la vraie, saine et humaine, sinon plus que les « purs ».

Bon nombre de « démocrates de la base » se récrieraient en lisant ces lignes et diraient, eux aussi, que « j’y vais un peu fort », eux qui se croient sincèrement, ardemment « anti-fascistes ». Et pourtant, combien de faits sont là pour le prouver. Les démocraties, c’est-à-dire les formes doucereuses du fascisme, en promettant beaucoup : liberté intégrale, bien-être, pain, bonheur et jouissance sur toute ta ligne, et incapables de réaliser ces promesses qui ne peuvent être que du bluff électoral, préparent le lit du fascisme violent, en sont les plus précieux auxiliaires. L’Italie, l’Allemagne, l’Autriche, la Pologne, etc., nous en fournissent de tragiques et édifiants exemples. Et l’URSS aussi, avec son fascisme de différente étiquette, mais autant, peut-être encore davantage féroce et sanguinaire que l’autre, et d’autant plus dangereux qu’il ose toujours se parer d’une vague et pâle teinte révolutionnaire. Et, aujourd’hui, l’Espagne continue la série. Les expériences tragiques du passé n’auront donc servi de rien, sinon de répandre du sang, des deuils, des ruines, sans aucun profit pour les événements présents et futurs ?

Oui, l’Espagne que des camarades nous présentaient, voilà une longue et douloureuse année, comme le foyer de la révolution libératrice d’où avait jailli l’étincelle libertaire embrasant l’humanité enfin régénérée et affranchie de toute autorité, de tout dogme, de toute injustice, supprimant les classes sociales, richesse et paupérisme, et assurant liberté, bien-être et bonheur à tous les êtres humains. Las ! que ces belles et bonnes choses semblent loin aujourd’hui. Oui, l’Espagne de maintenant est divisée effectivement en deux camps, opposés momentanément par des questions de boutique, se disputant à qui nous dévorera. L’un, ennemi franc et déclaré ; l’autre, « frère ennemi », hypocrite en plus. Ces deux camps sont (et je n’apprends rien à personne) : le fascisme blanc représenté par Franco, ses souteneurs Hitler. Mussolini et tant d’autres en France et ailleurs, et le fascisme rouge, défendu par Staline et ses séides.

Que deviennent les anarchistes dans cette salade ? En se battant aujourd’hui contre l’un, ils « travaillent » pour l’autre. Les faits sont là, dans leur brutale et émouvante crudité, et tous les discours et articles de journaux savamment échafaudés pour essayer de prouver le contraire, ne tiennent pas debout et ne peuvent être pris au sérieux que par des naïfs ou des ignorants.

Que sont devenus tant de bons et sincères camarades, traqués, pourchassés par tous les gouvernements et qui, dès le début des événements, étaient partis avec enthousiasme. faisant d’avance le sacrifice de leur vie pour la défense d’une cause qui leur était si chère ? Beaucoup en sont sortis malades, estropiés et… écœurés. Ceux qui sont restés là-bas dans la fournaise, sont emprisonnés, torturés, lâchement assassinés. « C’est la guerre. me répondra-t-on, et la guerre excuse bien des crimes. » Mais, voyons ! Cela se passe en Espagne à étiquette antifasciste, en Aragon, en Catalogne, aujourd’hui sous la botte sanglante du fascisme rouge — rouge du sang des anarchistes, ses alliés de la veille et du jour dans la lutte contre l’autre, le blanc.

Pourquoi les choses eu sont-elles arrivées là, en attendant pire ? Peut-être — et je ne suis pas le seul à le penser, basant notre opinion sur les faits, qui seuls peuvent compter dans des circonstances aussi tragiques — parce que les « dirigeants » anarchistes d’Espagne ont d’abord commis une grave erreur de vouloir tuer la guerre par la guerre. C’est la guerre, hélas ! qui les tue. Et comme la première erreur non rectifiée est fatalement suivie par d’autres, ils ont fait celle, plus grave encore si possible, de faire alliance avec leurs plus dangereux ennemis, plus dangereux parce qu’inavoués et la main tendue, cette main renfermant le poison de la calomnie et le traître poignard dissimulé dans la manche de l’habit. C’est presque fastidieux de répéter ce qu’il en est advenu. Les faits sont plus éloquents que tous les discours et les écrits.

On nous accuse, nous autres de Terre Libre, de provoquer la division dans les rangs anarchistes et de vouloir la scission. Mais non, camarades Dupoux, Lapeyre et autres. Voyons, soyez logiques. Ne sont-ce pas les Oliver, les Montseny, les Vazquez et autres qui se sont retirés d’eux-mêmes du contact des camarades par leurs reniements et leurs trahisons, eux que l’on pourrait appeler les politiciens de l’anarchie ? Car l’anarchie a aussi ses politiciens, ceux qui voudraient en faire un « parti » et, naturellement, le gouverner. Oh ! je sais. Ils se prétendent toujours anarchistes et le prouvent élégamment en voulant nous imposer silence et nous interdire tous droits de critique. Si c’est cela l’anarchie, alors je n’en suis plus. Heureusement, c’est tout autre chose.

Les plus fervents amis et défenseurs de ces « dirigeants », ex- et aspirants ministres, avouent qu’ils ont commis des erreurs et… ont continué. La lecture du Libertaire est édifiante à ce sujet. Eux ne peuvent pas ne pas s’en rendre compte. Personne n’est infaillible et ce n’est pas précisément nos griefs contre eux… Mais, au lieu de reconnaître franchement, sincèrement leurs erreurs, ils s’efforcent de les justifier et en font de plus en plus graves. Et c’est ce que nous leur reprochons. C’est là leur trahison. Cette inqualifiable conduite ne peut s’expliquer — et le Lib en fait l’aveu à peine voilé — que par les concessions faites aux bolchos au prix de quelques tonnes d’armes, de munitions. Concessions, armes et munitions qui se sont vite retournées contre nos camarades, prisonniers aujourd’hui des staliniens par les erreurs conduisant fatalement aux trahisons successives des « chefs » anarchisants.

Terre Libre N°36 – 25 Septembre 1937

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