Extraits – Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable

Résultat de recherche d'images pour "foret qui brule"[…] La dégradation irréversible de la vie terrestre due au développement industriel a été signalée et décrite depuis plus de cinquante ans. Ceux qui détaillent le processus, ses effets cumulatifs et les seuils de non-retour prévisibles, comptaient qu’une prise de conscience y mettrait un terme par un changement quelconque. Pour certains ce devaient être des réformes diligemment conduites par les États et leurs experts, pour d’autres il s’agissait surtout d’une transformation de notre mode de vie, dont la nature exacte restait en général assez vague ; enfin il y en avait même pour penser que c’était plus radicalement toute l’organisation sociale existante qui devrait être abattue par un changement révolutionnaire. Quels que fussent leurs désaccords sur les moyens à mettre en oeuvre, tous partageaient la conviction que la connaissance de l’étendue du désastre et de ses conséquences inéluctables entraînerait pour le moins quelque remise en cause du conformisme social, voire la formation d’une conscience critique radicale. Bref, qu’elle ne resterait pas sans effet.

Contrairement au postulat implicite de toute la « critique des nuisances » (pas seulement celle de l’EdN*), selon lequel la détérioration des conditions de vie serait un « facteur de révolte », force à été de constater que la connaissance toujours plus précise de cette détérioration s’intégrait sans heurt à la soumission et participait surtout de l’adaptation à de nouvelles formes de survie en milieu extrême. Certes, dans les pays que l’on appelle « émergents » au moment où ils sont engloutis par le désastre industriel, il arrive encore que des communautés villageoises se soulèvent en masse pour défendre leur mode de vie contre la brutale paupérisation que leur impose le développement économique. Mais de tels soulèvements se passent du genre de connaissances et de « conscience écologique » que les ONG cherchent à leur inculquer.

Quand finalement l’officialisation de la crise écologique (en particulier sous l’appellation de « réchauffement climatique ») donne lieu à de prétendus « débats », ceux-ci restent étroitement circonscrits par les représentations et les catégories platement progressistes que les moins insipides des discours catastrophistes annoncent pourtant vouloir remettre en cause. Personne ne songe à considérer le catastrophisme pour ce qu’il est effectivement, à le saisir dans ce qu’il dit à la fois de la réalité présente, de ses antécédents et des réalités aggravées qu’il souhaite anticiper. […]

René Riesel, Jaime Semprun – Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable

*Encyclopédie des Nuisances.