Il n’existe pas de prisons à visage humain !

[Le texte ci-dessous a été distribué à Caen à l’occasion d’un débat organisé par l’association Démosthène, qui depuis quelques années fait la promotion de l’humanisation des prisons, invitant experts, magistrats et directeurs de taule, mais jamais de prisonniers ou prisonnières. Pour info, une discussion anticarcérale autour du projet de nouvelle maison d’arrêt en périphérie de Caen (500 places, début des travaux fin 2019, pour une livraison prévue fin 2022/début 2023) aura lieu le samedi 16 février, suivie d’un concert Rock antipolice en solidarité contre la répression.]

Il n’existe pas de prisons à visage humain !

« Je crois en la justice de mon pays rigole l’apatride »,

Hafed Benotman,
Entretien, Revue Mouvement, 2010

« Se battre sur le terrain de la réforme,
pour moi c’est comme
si on parfumait de la merde,
Ça restera de la merde. »

Hafed Benotman,
Extrait du recueil posthume de textes et de lettres
Ca ne valait pas la peine mais ça valait le coup.

CELA FAIT DES MOIS QUE L’ASSOCIATION DEMOSTHENE organise des conférences et des ateliers autour de la prison. Une fois n’est pas coutume, nous éviterons cette fois la pénitentiaire ou l’insertion. Nous aurons tout de même le droit au sociologue.
Une nouvelle fois nous n’entendrons pas des voix de prisonniers et de prisonnières, encore moins celles de ceux et celles qui se sont révolté-e s dans les taules ou les centre de rétention administratifs, de Valence à Vincennes, en passant par Seysses ou Poitiers. Nous entendrons encore moins ceux et celles qui crèvent en taule de l’acharnement ou de l’absurde et de l’arbitraire, les deux souvent mêlés, de la pénitentiaire. Et nous n’entendrons même pas ceux et celles qui de l’autre côté du mur tentent de porter en cri et en actes leur révolte contre les prisons.

Poursuivant sa volonté citoyenne d’humaniser le capitalisme, Démosthène s’échine à vouloir interroger les moyens d’humaniser les conditions de détentions des milliers de prisonniers en sursis qui peuplent les mouroirs que sont centre de détentions et autre maisons d’arrêt. Pourtant, en observatrice attentive des politiques pénales qu’elle entend être, elle devrait savoir ce que le mot humanisation veut dire en matière pénale.

Humaniser pour toujours plus incarcérer.

Lorsqu’en août 2016, Urvoas et Valls s’étaient émus des conditions de détention des prisonniers de Nîmes, nous savions instinctivement qu’ils préparaient un mauvais coup. En effet, ce gouvernement annonçait, dans la lignée de ses prédé-cesseurs, la construction de 33 nouvelles cabanes pour soit disant lutter contre la surpopulation carcérale. Aujourd’hui, de nombreux projets sont toujours à l’ordre du jour malgré une forte décrue.

Pourtant, cet ambitieux projet a du mal à masquer ces réelles ambitions. Si l’Etat construit de nouvelles cellules c’est qu’il enferme toujours plus. Les quelques 30000 cellules construites ces trois dernières décennies n’ont jamais été en mesure de faire baisser la densité carcérale, mais elles ont par contre permis d’augmenter significativement le nombre d’incarcéré-e-s.Cela va de pair avec le durcissement général du système judiciaire. Le prétendu angélisme des gouvernements qui se sont succédés depuis plusieurs décennies n’est qu’une chimère entretenue par les idéologues du sécuritaire. Les peines sont de plus en plus lourdes. Les mutineries en prison sont elles-mêmes de plus en plus réprimées.

Tout ceci permet au passage d’engraisser l’industrie du sécuritaire et de la détention.
Pour les marchands de peur comme Bauer et Rauffer, les constructeurs de prisons comme Vinci, les associations locales ou nationales comme Emmaüs et les entreprises comme EDF ou L’Oréal avides d’employer la main d’oeuvre particulièrement bon marché et docile que sont les taulard-e-s, la prison est un business comme un autre. Ou plus exactement particulièrement juteux.

La promesse de la construction de cellules individuelles qui accompagne ce nouveau plan prison est présentée comme une avancée. Même si de toute évidence, elle ne restera, comme pour les précédents plan prison, qu’un argument de vente. En réalité, l’isolement et le renforcement des mesures de sécurité à l’intérieur des prisons ne se font jamais au bénéfice des détenu-e-s. L’isolement sert au contraire souvent de punition, comme pour le mitard. Faut-il rappeler comment Mesrine, Knobelpiess, Bauer et bien d’autres se battaient déjà contre les QHS qui n’ont jamais véritablement disparus ?

Les nouvelles prisons, ultra-modernes et sécurisées qui sont aujourd’hui construites sont souvent décrites par les prisonnier-e-s comme déshumanisées, aseptisées.
Elles correspondent uniquement aux besoins et aux impératifs « économiques » et « sécuritaires » de l’administration pénitentiaire.

Humaniser pour prolonger la peine hors de la taule.

C’est avec les mêmes accents humanistes et les mêmes voix chevrotantes que les institutions nous font la promotion des peines alternatives ou des nouveaux quartiers de préparation à la sortie (QPS).

Le bracelet électronique et les peines alternatives à la prison ne sont pas un substitut à la détention, elles la prolongent seulement hors les murs. C’est juste la gueule du maton qui change puisque le condamné endosse lui-même l’uniforme.
On vit avec ses potes, lorsque l’on est autorisé à les voir, mais sans vivre leur vie.
La liberté à portée de main, au supplice de la détention vient s’ajouter celui de Tentale. La prison se prolonge au-delà des murs d’enceinte dans une vie mutilée qui prépare plus à la soumission qu’à une vie libre et autonome.

L’insertion joue aussi un rôle majeur dans la prolongation de la détention hors les murs. Les QPS, sous couvert humaniste de préparer la sortie des détenu-e-s de courte peine, travaillent à former des travailleur-se-s dociles, acceptant n’importe quel taf de merde payé des miettes, et servent avant tout de carotte au sein même des taules : « Si tu te tiens tranquille, peut-être sortiras-tu plus tôt ».

Des mesures d’insertion et de limitation des libertés peuvent même aujourd’hui être prolongées au-delà de la peine prononcée. C’est ce qui arrive à un compagnon anarchiste ayant purgé sa peine dans l’affaire de la voiture de flic cramée Quai de Valmy en 2016. Alors que juge d’application des peines s’était déjà refusé à accorder toute demande de liberté conditionnelle, il a décidé d’appliquer au compagnon, pour sa réinsertion cela va de soi, une loi mise en place par Taubira en 2014, permettant d’accompagner sa remise de peine, de restrictions de ces libertés. Il est ainsi entre autre peine interdit de paraître à Paris, de rencontrer les coauteurs de faits et les victimes, obligé de rencontrer le JAP et les services d’insertion, etc. Et ce durant le temps de sa remise de peine… Ce qui s’exerçait déjà jusqu’à l’absurde dans des contrôles judicaires dans l’attente de procès, notamment autour des désormais banals « associations de malfaiteurs » se prolonge au-delà des peines de prison. Justice et pénitentiaire prolongent leur emprise au-delà des peines.

La prison est là pour protéger ce monde et punir.

Souvent l’Etat et ceux et celles qui bossent dans les taules n’évoquent jamais la fonction réelle de la prison. Ils et elles la banalisent et ne cherchent dans le meilleur des cas qu’à en rendre le fonctionnement plus humain. Pourtant, la prison vise bien à protéger ce monde, la domination et l’emprise capitaliste et étatique.
Les foules qui peuplent les taules sont majoritairement issues des quartiers populaires,
souvent victimes d’un racisme structurel.

La prison sert un mode de gestion du monde au profit des classes dominantes.
Et aujourd’hui où le rapport de force est particulièrement défavorable au prolétariat et où la main d’oeuvre est ici devenue surnuméraire pour le capital, la prison joue son office de régulatrice. Elle emprisonne ceux et celles qui combinent pour survivre, ceux et celles qui pètent les plombs, ceux et celles qui se révoltent ou qui résistent au harcèlement policier dans les quartiers populaires. C’est eux et elles qui la peuplent majoritairement. Et c’est bien en prévision d’une augmentation de la paupérisation qu’Etat et capital en toute complicité et sans manquer d’en faire un marché juteux bâtissent ces nouvelles prisons plus « humaines ».

La prison administre une gestion répressive des classes dangereuses et des rebelles, mais également des révoltes et des émeutes que la situation sociale explosive ne manque pas de susciter. Ceux et celles que les flics n’ont pas éborgnés, mutilés ou tués, et qui n’ont pas réussi à fuir, finissent par croupir derrière les barreaux.

L’administration pénitentiaire matent également à coup d’ERIS, ces milices internes et masquées, le moindre signe de révolte entre ces murs. Les peines des taulard-e-s s’étirent souvent ainsi sur des années supplémentaires. Mais c’est bien par une gestion quotidienne où règne l’arbitraire des maton-ne-s que s’administre la punition. Ce sont les raffinements de la torture de l’isolement sous toutes ses formes. Ce n’est pas pour rien qu’on se cachetonne ou qu’on se fait cachetonner en zonz’, qu’on se suicide. Et bien évidemment au milieu de ce règne de l’arbitraire, les plus marginales-aux, comme les trans morflent.

A Seysses, près de Toulouse, le 17 avril 2018, de nombreux détenus ont refusé de regagner leur cellule suite au décès d’un de leur camarade au quartier disciplinaire. Ils écrivent : « Tous ceux qui sont passés par le quartier disciplinaire pourront témoigner des humiliations qu’ils y ont subi, des insultes racistes, des crachats à la figure, des ordres donnés comme si on était moins que des chiens… Là-bas, celui qui a le malheur de « la ramener » peut finir comme J. : pendu. Aucun droit n’est respecté dans ce mitard. Les promenades ont lieu au bon vouloir des surveillants, et en général il n’y en a pas. L’accès au douches nous y est refusé, et il peut se passer quinze jours sans qu’on puisse y aller(…) Cet hiver, plusieurs prisonniers se sont retrouvés dans ce mitard sans matelas, sans couverture et sans vêtements, alors qu’il faisait moins cinq degrés.(…) J. a été battu par cinq ou six surveillants, pendant plus d’une demi-heure. Puis il y a eu un grand silence, et les surveillants se sont mis à discuter entre eux, à estimer son poids et sa taille pour s’ac-corder sur une version des faits. Puis ça a été l’heure de la gamelle et, quand sa cellule a été rouverte, ils ont fait mine de le découvrir pendu. Alors le Samu est intervenu et a tenté de le réanimer, en vain. Le lendemain, ils ont libéré tout le monde du mitard et personne n’a été entendu, même pas le chef ni les gendarmes. »

Peut-on humaniser l’arbitraire ? Vous imaginez bien pour reprendre la métaphore particulièrement sentie d’Hafed Benotman que même plus parfumées ces prisons resteront des prisons.

Il ne s’agit pas pour nous de sombrer dans l’angélisme. Nous n’envisageons pas les prisonnier-e-s comme des saint-e-s, mais par contre nous dénonçons le mode de gestion qui est au coeur du système carcéral, et ce que la prison, même humanisée, fabrique.

C’est habité de ce dégoût du système carcéral que nous entendons mener une lutte contre la construction d’une de ces nouvelles prisons « plus humaines » à Ifs, au sud de Caen, là où entre le périphérique, une plate-forme logistique de Super-U et un non lieu agro-industriel, loin des regards, l’Etat vise à entasser entre des murs de béton, une nouvelle fournée de prisonnier-e-s.


Le tract 4 pages au format PDF

Repris de https://sansattendre.noblogs.org