Le vendredi 23 novembre a eu lieu une marche de solidarité avec les exilés à Ouistreham, suivie d’une tentative d’ouverture de squat et d’accrochages avec les gendarmes. Ce texte revient sur ce qui s’y est passé.
On ne traverse pas des mers et des frontières en lâchant des lanternes
Vendredi 23 novembre au soir avait lieu une marche de solidarité avec les migrants de Ouistreham, toujours aussi nombreux à vivre dehors et à essayer de passer la frontière vers l’Angleterre par le terminal de car-ferry. Cette marche était organisée dans le cadre du festival « citoyen » festisol. Sur place, depuis plusieurs années maintenant, des solidarités de base sont organisées par des habitants et habitantes (repas, fringues, douches, hébergement…), tandis que de nombreux squats sont régulièrement ouverts à Caen, notamment par l’Assemblée générale de lutte contre toutes les expulsions.
La marche, déposée en Préfecture et ouverte par une bagnole de flics, réunit 400 personnes. Le CAMO (Collectif d’Aide aux Migrants de Ouistreham) la souhaite silencieuse, en hommage aux morts écumant la méditerranée. Une fraction des gens refusent de jouer cette pièce macabre : fumigènes et slogans égayent la manif, rapidement encadrée par les gendarmes. Pas mal de migrants, quasi-tous soudanais, sont présents dans le cortège, et peu disposés au silence eux aussi.
La marche se termine sur le parking avant le terminal de car-ferry. Les gendarmes bloquent toute possibilité d’aller plus loin. Derrière, un facho notoire gueule « Allez les négros, rentrez chez vous », bien planqué derrière une rangée du PSIG (Peloton d’intervention de la gendarmerie). Les exilés sont les plus prompts à réagir, avec quelques autres personnes. On presse un peu le barrage de la bleusaille, et les exilés gueulent « Laissez-nous passer ». La première altercation avec un gendarme a lieu à ce moment-là. Pendant ce temps-là, une autre frange de la manif lâche des lanternes chinoises dans le ciel.
Les organisateurs et organisatrices annoncent, après ce qui aurait dû être une dernière prise de parole, la fin de la manif, et le retour au bercail groupé, pour rejoindre les voitures laissées au point de départ. Les gendarmes accompagnent le mouvement. Sur ce trajet, l’ouverture d’un squat préparée secrètement doit s’officialiser. Arrivé à proximité du bâtiment vide, un groupe se détache de la manif et ouvre la grille. Un groupe d’une quinzaine de personnes parvient à dépasser la cour et à rentrer dans le lieu avant que les cognes ne s’organisent. Quelques coups de tonfa sont distribués, et une personne est molestée et mise au sol pour interpellation. Pendant ce temps-là une quinzaine de personnes pousse les gendarmes pour créer une ouverture. La mêlée dure un bon moment. Les flics essaient de fermer la grille, largement pliée sous les poussées. Le colson qui doit leur servir à maintenir fermé la grille est subtilisé. Finalement, la situation se calme. Des gens sont dans le squat, une centaine de personnes est dehors. Le PSIG tient l’entrée de la cour, en rang là où se tenait la grille.
Le CAMO, ou plutôt son porte-parole, puis une autre personne au nom de l’inter-orga malheureusement habituelle lors de ces rendez-vous depuis quelques années, appellent à repartir en cortège et à lâcher les gens à l’intérieur du squat, alors que ces camarades de lutte risquent gros. La situation a le mérite de clarifier les positions des uns, des unes et des autres. Les citoyens et citoyennes remballent face aux autorités. La solidarité a ses limites. Les échanges sont vifs à l’extérieur, et tournent parfois à la guéguerre inter-orga pour savoir qui est le plus solidaire avec les migrants. Ça discute avec les flics, ça négocie. Il en est toujours ainsi quand la révolte s’exprime concrètement et non symboliquement. Les citoyens et citoyennes refusent le conflit avec l’Etat et ses cognes, quitte à laisser en pâture aux flics et aux juges d’autres personnes solidaires ou même des migrants, qui doivent se conformer à leur manière docile de contester.
Finalement, les gendarmes demandent à voir le papier prouvant que le lieu est ouvert depuis plus de 48h. Malheureusement, il semble qu’il ait disparu ou ait été oublié. On apprend que les gens à l’intérieur vont sortir, mais que les gendarmes veulent les contrôler. Or, il semble qu’il y ait des sans-papiers dans le lot… Le groupe à l’intérieur sort en se chaînant et se dirige vers l’entrée de la cour. De l’autre côté, nous sommes plusieurs à pousser dans l’autre sens pour établir la jonction, empêcher tout contrôle et n’abandonner personne. Les gendarmes, pas assez nombreux, sont emmerdés par la situation. Les cognes n’aiment pas être pris en tenaille. Cette fois, la mêlée est moins bon enfant. Les gendarmes ne se contentent plus de pousser, mais cognent. La jonction se fait, le groupe de l’intérieur parvient à sortir, sauf une personne qui reste un moment à l’entrée de la cour, agrippée à la fois par les gendarmes et par les révoltés, avant de réussir à s’échapper. Les gazeuses à mains sont de la partie.
Finalement, on se regroupe à l’extérieur. La situation reste confuse un moment, des blessés devant rejoindre les pompiers, d’autres gens s’inquiétant du sort du premier interpellé. Le PSIG est aux aguets. On craint de nouvelles interpellations. Les migrants sont les plus dynamiques, et sont plusieurs à vouloir retourner au contact.
Le paternalisme récurrent d’une bonne partie des gens présents s’exprime une nouvelle fois dans toute sa splendeur : on ne se contente pas de leur dire que là on n’a pas le rapport de force, qu’on s’en sort relativement bien et qu’il vaut mieux se barrer, ce qui peut s’entendre, mais certains et certaines, animés des meilleures intentions du monde, les empêchent physiquement de passer. Ils finiront par y arriver, et se rendront compte par eux-mêmes que la bataille se termine là pour ce soir. Une autre leçon de cette épisode, c’est qu’encore une fois on a vu qui ne voulait surtout pas aller au contact avec les flics, et que ce n’est certainement pas une bonne partie des migrants. On avait pourtant, lors des précédentes manifs, entendu des choses du genre : « il ne faut pas y aller, c’est mettre en danger les migrants, qui ne veulent pas de ça… » Ben voyons. On ne traverse pas des mers et des frontières en lâchant des lanternes.
Au final, le retour vers le parking se fait davantage par petits groupes que bien groupé. Plusieurs nouvelles interpellations ont alors lieu. En plus de la première interpellation lors de la tentative d’ouverture, au moins 2 autres personnes dont un exilé sont placés en garde-à-vue. Ils ont depuis été relâchés et les 2 camarades de lutte passent en procès pour violence sur agent. Il y en aurait peut-être eu 3 autres dont 2 exilés. La presse ne confirme que 3 interpellations.
De toute évidence le round d’observation est terminé. La répression prend un nouveau visage. Au harcèlement sournois des migrants, aux squats virés, succèdent les violences policières et l’arsenal judiciaire. Cette journée marque également un tournant dans la manière dont les manifestations risquent de s’organiser. Nous devons en prendre acte et nous y préparer. Nous ne pouvons qu’encourager ceux et celles qui ne veulent pas en rester à l’indignation et préfèrent la révolte en acte. Nous espérons que ce qui s’est passé ne sera pas un prétexte pour calmer les choses, et que de nouveaux rendez-vous publics comme d’autres formes de révolte vont se dérouler.
Cette journée et les quelques 400 personnes présentes lors de cette marche rendent une nouvelle fois manifeste la solidarité réelle que rencontrent les migrants sur place. A l’agitation locale de l’ultra-droite répond une solidarité concrète de chaque instant. Par contre, et ce n’est pas une nouveauté, cette solidarité s’exprime également avec un fort paternalisme. Certains et certaines pensent et agissent à la place des migrants. Les migrants comme ceux et celles qui manifestent leur solidarité ne sont réduits qu’à suivre les décisions d’états-majors, le plus souvent auto-proclamés.
Cette solidarité trouve également sa limite dans le refus de se confronter autrement que symboliquement et « humanitairement » à l’Etat et ses nervis, et en se dissociant publiquement des actions des personnes qui passent à l’acte.
C’est bien la composition comme idéologie que cette journée vient également ébrécher. Depuis un moment, nombre de militant-e-s et de « radicaux-ales » balbutient la même ritournelle, celle de l’unité à tout prix. Pourtant, composer, c’est souvent créer des alliances de circonstances entre des forces fortes de puissants antagonismes. Les événements d’une lutte finissent souvent par révéler ces contradictions. Ce que l’idéologie de la composition répand c’est une discipline de milieu privilégiant les liens avec la gauche syndicale, politique et associative à toute radicalité effective. Lorsque cette radicalité surgit quand même, se révèle alors le caractère factice de cette composition. Inutile de rêver, les idéologues de la composition seront prêts à toutes les contorsions pour maintenir l’unité. Espérons que d’autres la questionneront.
Il ne s’agit pas pour nous de rendre plus humain l’accueil des migrants, mais de détruire les frontières d’un monde où sévissent toujours plus l’exploitation, la destruction du vivant, les guerres économiques, nationalistes ou religieuses. Nous n’attendions rien de la gauche politique, associative ou syndicale, et n’en attendons pas davantage après cette journée. Nous continuons de penser que l’on ne traverse pas les mers et les frontières en lâchant des lanternes.
Des anarchistes contre les frontières
repris d’Indy Nantes