Parution : Métamorphoses – Sur la transformation urbaine et la mort sociale

[…] Cela fait des années que dans l’esprit des Napolitains a été ancrée la certitude, grâce à un martelage d’échanges de point de vue médiatiques à toutes les sauces et de toute forme, que pour résoudre les problèmes durables de la criminalité et du chômage, il suffirait de réévaluer les ressources culturelles et des politiques visant à encourager le tourisme. Parce que si le touriste vient à Naples, il y a plus de travail, moins de crime, moins de saleté, tout serait mieux. Se met donc en place un avantage fiscal pour l’ouverture de toutes formes de bed and breakfast, un diplôme de trois ans en « touristologie », des accords avec les navires Costa, et voilà que des hordes de touristes affluent à tous les coins de l’antique centre historique, à la recherche de Polichinelles, crèches de noël, mandolines et pizza à volonté. Plus de photos des fameux sacs poubelles, parce que ça ils les ont cachés sous le tapis, et on propose toute sorte plaisir au saint touriste qui est juste sacré …et quand le touriste a besoin de quelque chose…

La consécration des touristes nécessite un effort des Napolitains pour devenir plus civils, se laver le visage et se faire tout petit face à une telle entreprise qui se présente comme une manne purificatrice. Un business cultivé dans l’intérêt de tous, cachant en réalité un seul intérêt, celui de quelques-uns qui tirent profit des avantages économiques et politiques par la transformation de zones à revaloriser et à redorer et de zones à ghettoïser ou réaménager pour d’autres intérêts.
La requalification urbaine, avec un effet domino du centre historique à la banlieue investit inévitablement tout le territoire de la ville, ouvre la voie à la restructuration des profits, passant par le concept de « smart city » jusqu’à la dépersonnalisation de zones entières jusqu’ici caractérisées et vécues dans leur chair par des personnes.
Tout cela est très triste, mais il est encore plus triste de constater que l’essentiel du changement en cours est soutenu et accompagné par diverses formes d’associationnisme et qu’une grande partie de ce mouve-ment qui se définit comme antagoniste en accélère la transformation de manière culturelle plutôt que structurelle, vers une pacification sociale de plus en plus poussée. L’appropriation des espaces dits libérés en très peu de temps reconnus par la municipalité elle-même qui leur en confie la gestion n’a d’autre but que de favoriser le revirement de toute attitude oppositionnelle. Chaque minime position conflictuelle est perdue dans la négociation démocratique, chaque voix extérieure au chœur reste prise au piège dans une pétition pour l’installation d’un feu de circulation ou une plainte au commissariat de police pour une vile agression fasciste.
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Les articles que vous trouverez dans cette brochure sont le résultat de nombreuses discussions, mais ils ne sont pas à prendre comme une écriture chorale. Chaque compagnon a essayé de mettre sur papier ce qu’il a retenu d’intéressant dans la discussion de son propre point de vue. Nous avons analysé la transformation sociale qui ont conduit les gens à abandonner les places, les intérêts du capital qui se cachent derrière chaque politique de restructuration urbaine et sociale, l’étroite interdépendance entre les villes et les territoires limitrophes strictement liés aux besoins énergétiques et nous nous sommes aussi demandé si nous croyons que cela vaille la peine de défendre ce type de ville en constante métamorphose. Pour autant, nous ne voulons pas faire une oeuvre nostalgique sur comment Naples était belle auparavant et maintenant par contre… non, ce n’est pas du tout dans nos intentions. Nous savons depuis l’enfance que c’est une ville difficile à vivre, pétrie par des mains sales, pompée et aspirée par tous les pilleurs qui sont passés par là. Ce que vous avez entre vos mains n’est qu’une réflexion sur ce qui nous a amené là et sur ce qui nous attend si nous ne décidons pas une fois pour toutes de prendre en main nos destins, nouvelles Destinées autopoïétique…
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Repris de sansattendre, pdf disponible ici :

https://sansattendre.noblogs.org/files/2018/10/M%C3%A9tamorphosesNaples.pdf