Voir, en effet, une coalition morale de huit millions de valets contre un homme libre est un spectacle de lâcheté contre la sauvagerie de laquelle on ne saurait invoquer la civilisation sans la ridiculiser ou la rendre odieuse aux yeux du monde.
Mais je ne saurais croire que tous mes compatriotes éprouvent délibérément le besoin de servir. Ce que je sens, tout le monde doit le penser ; car je ne suis ni plus ni moins qu’un autre homme ; je suis dans les conditions simples et laborieuses du premier travailleur venu. Je m’étonne, je m’effraie de rencontrer à chaque pas que je fais dans la vie, à chaque pensée que j’accueille dans ma tête, à chaque entreprise que je veux commencer, à chaque écu que j’ai besoin de gagner, une loi ou un régiment qui me dit : On ne passe pas par là, on ne pense pas ainsi ; on n’entreprend pas cela ; on laisse ici la moitié de cet écu. A ces obstacles multiples, qui s’élèvent de toutes parts, mon esprit intimidé s’affaisse vers l’abrutissement ; -je ne sais de quel côté me retourner ; Je ne sais que faire, je ne sais que devenir.
Les masses, encore trop dociles, sont innocentes de toutes les brutalités qui se commettent en leur nom et à leur préjudice ; elles en sont innocentes, mais elles n’en sont pas ignorantes ; je crois que, comme moi, elles les sentent et s’en indignent ; je crois que, comme moi, elles ont hâte d’en finir. »
Anselme Bellegarrigue, dans L’anarchie, Journal de l’Ordre N°1.