D. Macdonald – Une tragédie sans héros [Extraits]

Le problème des masses

Comme la “révolte des masses” a conduit aux horreurs du totalitarisme (et à celles de l’architecture qui borde les routes Californiennes), des conservateurs tels qu’Ortega y Gasset et T.S. Eliot soutiennent que le seul espoir serait de rétablir les vieilles barrières de classe et de replaçer les masses sous contrôle aristocratique. Il estiment que “populaire” est forcement synonyme de commun et de vulgaire. Pour les radicaux et les progressistes marxistes, en revanche, les masses sont fondamentalement saines mais sont les dupes et les victimes de l’exploitation culturelle des seigneurs du kitsh, un peu comme l’était le “bon sauvage” de Rousseau. Ah! Comme elle seraient contentes si, au lieu du kitsh, on leur offrait quelque chose de bien! Et comme le niveau de la culture de masse s’éleverait alors! […] On peut trouver des raisons théoriques qui expliquent pourquoi rien de bon ne peut sortir de la culture de masse. Je postule que la culture ne peut être produite que par et pour des humains. Or, dans la mesure où le peuple est organisé (ou plutôt désorganisé) en masses, il perd son identité et ses qualités humaines. […] Quand on entend parler un “sociologue-à-questionnaire” de son “travail” d’enquête, on a l’impression qu’il considère les gens comme un troupeau d’animaux stupides, un amas de réflexes conditionnées, qu’il s’agit uniquement de stimuler par une savante combinaison de questions. Dans le même temps, il prend, par nécessité, ses resultats statistiques pour la réalité, pour le secret de la vie qu’il essaie de découvrir; Pour lui, comme pour les seigneurs du Kisth, les valeurs ne valent rien, il est prêt à accepter n’importe quelle ineptie du moment qu’elle est soutenue par le plus grand nombre.

L’avenir de la culture de masse est encore plus sombre 

Si la proposition des conservateurs de sauver notre culture par l’avant garde-garde artisocratique semble historiquement inadéquate, que dire du projet progressiste? Y a-t-il réellement une chance d’élever le niveau de culture de masse? Dans un récent ouvrage, The Great Audience, Gilbert Seldes affirme que oui; Il rejette la responsabilité du triste état de notre culture de masse sur la stupidité des seigneurs di kitsh qui sous-estiment l’âge mental du public, sur l’arrogance dédaigneurse des intellectuels qui commettent la même erreur en refusant de travailler pour les moyens de diffusion modernes comme la télévision et le cinéma, et enfin sur la passivité du public lui-même, qui ne réclame pas de meilleurs produits culturel. Ce diagnostic me parait superficiel en ce qu’il rapporte tout à des facteurs subjectifs et moraux : stupidité, perversité, manque de volonté. Accuser des groupes sociaux de la prolifération de la culture de masse est, à mon avis, tout aussi injuste que de rendre responsable le peuple allemand (ou russe) des horreurs du nazisme (ou du communisme soviétique).

Diogenes, été 1953

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“L’odre social comme la guerre sont des processus impersonnels qui s’enclenchent automatiquement. Si quelques individus se rebellent contre le rôle qui leur a été assigné, ils seront remplaçés par d’autres, plus dociles, avec pour seul résultat d’être mis à l’écart sans qu’au fond rien ne change. Les marxistes affirment qu’il doit en être ainsi jusqu’à la révolution – qui n’a jamais parue aussi éloignée. Alors, que peut faire un homme aujourd’hui? Comment peut-il échapper à sa condition au sein d’un système aussi terrifiant?

Tout simplement en refusant de jouer le jeu.

“Nous devons briser l’Etat avant qu’il ne nous brise. Celui qui veut préserver sa conscience – et sa peau par la même occasion – ferait bien de s’autoriser des “pensées dangereuses” comme le sabotage, la résistance, la révolte et la fraternité; La démarche intellectuelle qu’on nomme “esprit négatif” est un point point de départ.”