(Souvent, le fasciste en question ne saura même pas qu’il en est un et niera cette évidence de toutes ses forces.)
Quand je dis « fasciste », je ne veux pas nécessairement parler de l’adepte un peu neuneu cette bonne vieille idéologie folklorique à grand-papa avec les drapeaux, les bottes cloutées et le pas d’oie. Je parle surtout de ces êtres du ressentiment qui n’ont rien du tout contre la démocratie (bien au contraire) ni contre toutes les institutions et tous les dispositifs du pouvoir qui nous oppriment, en autant qu’ils ne soient pas sous le contrôle de leur bouc émissaire de prédilection.
Pour le fasciste, l’État, la propriété, la police, le gouvernement, la prison, l’école, l’usine, le bureau et tutti quanti – bref, toutes ces institutions qui nous oppriment et nous écrasent chaque instant que nous vivons, jour après jour – fonctionneraient au poil et nous apporteraient à tous le bonheur parfait et sans mélange si enfin le Peuple (le gros, celui avec un immense P majuscule Persécuté) était réellement au pouvoir. Hélas ! Ces institutions ce sont transformées en Système (le gros, celui avec un Sombre S majuscule) après avoir été noyautées, perverties et détournées de leurs fonctions premières par un lobby de conspirateurs vomis par l’enfer.
Évidemment, le bouc émissaire varie d’un fasciste à l’autre : parfois, ce sont les juifs, d’autre fois les islamistes radicaux, ou alors (énumérés pêle-mêle et sans avoir la prétention d’être exhaustive) les immigrants, les Roms, les homosexuels, les financiers, les industriels, le 1%, les catholiques, les carrés rouges, les protestants, les athées, les Américains, les satanistes, les anarchistes, les communistes, les racistes, les jésuites, les noirs, les indiens, les milliardaires, les syndiqués, les Illuminatis, les élites dégénérées et pédophiles, les féministes, les extra-terrestres reptiliens mangeurs de chair… ou les fascistes, ironiquement. Le choix d’un bouc émissaire plutôt qu’un autre n’a pas en soi vraiment d’importance ; ce qui est important, c’est de pouvoir jeter le blâme de l’oppression abjecte que l’on subit sur une abstraction, sur un fantôme, plutôt que sur les dispositifs de pouvoir bien réels qui sont la cause de cette oppression.
Le fasciste est un être du ressentiment. Il souffre. Il est exploité. Il subit d’innombrables affronts. Il est une victime de l’histoire – en fait, pas nécessairement lui directement, mais l’abstraction sociale à laquelle il s’identifie. S’il souffre, les autres aussi doivent souffrir, en particulier et surtout ceux qui sont la source fantasmée de ses malheurs. Quelqu’un doit répondre de cette humiliation, quelqu’un doit payer, quelqu’un doit expier. Pour ce faire, le fasciste a besoin d’un Maître (un gros, avec un immense M majuscule Machismo). Il a besoin d’un leader providentiel capable de canaliser l’énergie populaire. Un chef qui, une fois au pouvoir, sera l’incarnation de la volonté du peuple et pourra régner en son nom, directement, sans l’interférence de tous les lobbies corrompus et sataniques. Or, qui désire un maître finit toujours par l’obtenir – et vouloir l’imposer à tous.
La prochaine fois que quelqu’un dénonce le Système (le gros, celui avec un immense S majuscule Satanique) en pointant du doigt en direction de la catégorie d’individus qui est la source de ses malheurs, ne le prenez pas fraternellement dans vos bras : crachez-lui au visage, comme il le mérite.
Repris du blog d’Anne Archet.