Juré craché

Lorsque les jurés condamnent, ils ne savent pas qu’ils se condamnent eux-même en perspective.

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J’aurai bien voulu arriver dans le box des assises avec un costume décent mais ma garde-robe ne savait pas compter jusqu’à trente et un. C’est avec ma panoplie d’enfant sage, trouée par l’arrestation et recousue à la diable, que je posai mon cul sur le banc d’infamie. J’avais trois jours de procès, trois jours assis sur le bois à furoncle.

En vieux routier, la salle d’assises ne m’impressionna pas le moins du monde et, l’œil à niveaux de visage, je me tournai vers les quarante-cinq jurés dont neufs devant apprendre à me haïr sans le montrer.

Les jurés sont une espèce très étrange à observer. Au début, ne se connaissant pas, ils se jettent des regards de chat électriques. Puis ils se détendent au fil des jours et on peut les voir se faire des signes d’intelligence. Grâce à moi, ils deviennent amis dans le partage d’un secret qui les unira sur ma tombe à vif. Ils devraient s’offrir des petits cafés les uns aux autres et, rigolant, boire à ma santé un petit verre de rhum. Les moutons tiennent un loup et, sous leur laine, des estomacs dentés.

Le président commença à tirer les heureux gagnants. La tombola leur donnait des sueurs timides. L’un après l’autre, humble et soumis, ils passaient entre la défense et l’accusation et, le dos voûté, attendant la terrible condamnation d’un : « RÉ-CU-SÉ ! »

Ces affreux se sentaient coupables, peut-être de leurs sourires hypocrites, en franchissant le couloir du jugement.

L’épreuve passée, ils se rengorgeaient, se soûlaient et toutes leurs attitudes promettaient la vengeance pour avoir eu si peur d’être rejetés dans leur quotidien. On allait en faire des adieux… Ils étaient avides de génuflexions pour me mettre à genoux, mains jointes ; ils allaient être déçus. Installés de part et d’autre du président et de ses assesseurs, ils me condamnaient d’avance avec leurs yeux d’imbéciles sévères.

Les femmes avaient sorti leur robe à fleur de dimanche de kermesse. Elles fleuraient l’âcre parfum en solde, les litres sous plastique griffés Monoprix. Les hommes avaient passé leur plus beau costume, bien noir, celui des enterrements et des mariages.

Ces hommes et ces femmes ressemblaient à tout sauf à des êtres humains libres.

Quand bien même l’un d’entre eux l’eût été, je ne l’aurais pas remarqué ni reconnu pour la bonne raison que je n’avais aucune référence pour distinguer un esclave d’un affranchi, un affranchi d’un homme libre : de toute ma vie, je n’en avais jamais rencontré un.

Hafed Benotman

Les forcenés, 1993